Le Grand Pari(s) est mal parti(s)
© Le moniteur. Luc Dupont.
L’architecte Luc Dupont s’interroge sur le Grand Paris et « comment un grand sujet, porteur d’espoir pour beaucoup, étudié maintes fois auparavant par différentes personnes libres et indépendantes… devient un sujet bâclé, entré trop rapidement dans une accumulation de projets ponctuels qui peinent à masquer une absence de cohérence globale et de décision politique ».
Un mauvais départ
Les « visions » totalement prématurées, comme elles ont été dénoncées depuis, d’un grand réseau de transport francilien, semblent aujourd’hui entérinées ! C’est le premier grand échec de ce projet, et malheureusement il donne le ton de ce qui suit… A ma connaissance une seule des dix équipes d’architectes a montré sa réserve lors du dernier colloque du mois d’octobre 2011 à Paris, à la Cité de l’architecture : nous pouvons remercier Paola Vigano pour son intervention remarquable et courageuse, questionnant la pertinence de ce tracé ! Comment celui-ci pourrait-il être décidé avant que le projet global définissant la nouvelle morphologie de la ville et les territoires à densifier ne soit dessiné ? La dernière réponse entendue du président de l’AIGP (voir la vidéo), semble être un appel à densifier partout !
Un évitement
En fait cette question de la forme urbaine, du choix des territoires à urbaniser, a été abandonnée. Les travaux des dix équipes d’architectes ont été déclarés « vainqueurs à égalité » ! Comme l’autorité politique n’a pas su choisir une équipe, le poids des dix équipes regroupant chacune des dizaines de collaborateurs, l’a emporté ! Il en résulte une grande confusion, l’addition de volontés éparses qui ne dessinent pas un dessein global.
Une absence de projet global, une fuite en avant…
A mélanger les projets des dix équipes, il ne reste rien… sauf peut être la Seine comme élément primordial reconnu par tous ! Faute d’avoir pris les bonnes décisions, le projet avance dans une fuite en avant qui ne présage rien de bon. Je voudrais vous en donner deux exemples :
1. l’Atelier international du Grand Paris (AIGP) a aujourd’hui comme discours principal et comme argument « les 650 projets » qui seraient en cours d’élaboration sur le Grand Paris ! C’est bien ce que nous pouvons craindre le plus… L’absence de projet global est remplacé par une frénésie d’opérations qui elles, risquent d’empêcher tout dessein global à court terme. A mes yeux la Plaine Saint Denis, Gennevilliers, les Batignolles, les Docks de Saint Ouen… sont déjà des territoires perdus, dévorés, dont le lotissement empêche toute pensée urbaine globale de se dessiner.
2. l’AIGP se prépare à lancer un deuxième appel d’offres (voir l’annonce) pour inviter de nouvelles équipes à apporter de nouvelles idées. Est-ce pour atteindre le chiffre symbolique de 1000 projets ? Est-ce un aveu d’échec, reconnaissant que dix équipes n’ont pas suffi ! Est-ce un mouvement cumulatif qui renonce à la réflexion et à la synthèse, et les remplace par la « moyenne des idées convenues » ? Est-ce là la conception « démocratique » des personnes qui ordonnent cela ? Pour ma part ce n’est pas ce que je comprends du processus démocratique : j’y vois la possibilité pour chacun de s’exprimer, mais surtout derrière l’exercice de synthèse ou de persuasion « dialectique » qui l’accompagne, sinon nous restons dans l’informel, celui aujourd’hui de la banlieue parisienne.
Et maintenant (propositions)…
La véritable clairvoyance serait de figer le projet, momentanément ! Il en est encore temps, mais ce temps est compté. Désignons un véritable Maître d’œuvre ; donnons lui les moyens et le temps. Un projet urbain naîtra. Le réseau de transport, essentiel, en découlera, suivant les lignes de force du projet.
En 2000-2001 j’avais travaillé le sujet du Grand Paris en axant mes interventions sur le dessin de grands vides structurants pour l’agglomération parisienne, seul moyen à mes yeux de lui donner une identité visible et un cadre de vie agréable. D’autres villes ont su faire cela ; Paris meurt de son étouffement anarchique dans notre obsession de remplir tous les vides disponibles !
Le véritable travail d’architecture, comme celui de l’urbanisme, se construit sur une réflexion des vides structurant l’espace : l’espace de la maison, celui du jardin, des rues, places, passages qui constituent les espaces publics… Ce sont ces espaces qui nous font vivre, dans lesquels nous respirons, qui règlent nos échanges et notre intimité.
Or ce travail n’apparaît pas ! Les vides sont comblés un à un, auxquels s’ajoutent de nouveaux territoires (Saclay, etc.) : le Grand Paris est entré dans une frénésie d’accumulation de projets et de nouvelles lignes de transports, quand sur ce dernier point la véritable question est l’amélioration et la modernisation des lignes existantes (il était question aujourd’hui d’une autre ligne Roissy Paris !).