Grand Paris : vers le crash industriel
© Megalopolis. Jérôme Lefilliâtre
Et si le Grand Paris ne voyait jamais le jour ? Le président de la République a eu beau annoncer, le 10 octobre, que les 32 milliards d’euros sur 15 ans nécessaires au projet étaient «d’ores et déjà bouclés», l’urbaniste Frédéric Leonhardt n’y croit pas. Pour lui, acteur de la rénovation urbaine dans le Val-de- Marne et ancien membre de l’équipe Castro lors de la consultation du Grand Paris, les plans actuels seront jetés à la poubelle après l’élection présidentielle. Interview.
Pourquoi le Grand Paris Express s’annonce-t-il comme un « crash industriel » ?
Parce que ce réseau est basé sur le système de construction le plus cher, le tunnel souterrain le plus risqué – le sous-sol de la première couronne est un gruyère -, avec des délais de réalisation à rallonge et des gares problématiques à réaliser. Résultat, 20 milliard d’euros d’investissements pour n’arriver à aucun résultat tangible avant la fin de la décennie alors même que le réseau existant (RER et Métro) est surchargé et que les Franciliens vivent tous les matins l’enfer d’un système de mobilité, transport en commun et automobile, qui n’assure plus sa fonction. Le Grand Paris Express, au contraire de relancer l’Ile-de-France, risque de l’envoyer sur une voie de garage, la deuxième division des mégapoles. Ce qui était dans les années 80 un atout pour Paris, le réseau de transport public le plus moderne du monde , grâce au réseau Métro/RER, va devenir un handicap, un réseau vétuste auquel s’ajoute un projet dépassé avant même sa mise en œuvre.
Vous pointez le lobbying des groupes de BTP dans le projet…
Christian Blanc déclarait dès septembre 2009 dans le Figaro : «Nous avons l’objectif de réaliser ces travaux en dix ans, ce qui nécessitera de faire travailler 10 tunneliers en même temps. Une première mondiale». L’objectif gouvernemental n’est pas tant de résoudre les dysfonctionnements des transports en commun que de programmer des grands travaux et faire « tourner » les tunneliers des grands du BTP : cette logique initiale très datée années 60 a résisté aux objections multiples notamment des 10 équipes d’architectes du Grand Paris. Celles-ci avaient préconisé la transformation du réseau existant, de nouvelles lignes en viaduc sur les autoroutes et d’autres systèmes de transports ( tram, téléphérique, Velib généralisé, autopartage….) pour de multiples raisons, urbaines, paysagères, de qualité du déplacement dans la métropole. La victoire du « tunnel géant », avec tous les handicaps qu’il comporte, s’explique d’abord par une proximité entre l’appareil d’Etat actuel et les grandes entreprises du BTP. C’est une stratégie similaire à celles adoptées pour les nouvelles prisons, hôpitaux, lignes TGV construits en PPP (partenariat public/privé) aux coûts exorbitants, qui fabrique des bénéfices pour le CAC 40 et des dettes publiques pour l’Etat et le contribuable. Le problème est que de toute façon, cette stratégie n’est plus tenable avec la crise des dettes souveraines.
A quoi ressemblera ce projet dans dix ans selon vous ?
Je pense que sa date de péremption est politique, c’est le consensus factice qui doit tenir jusqu’aux élections de mai 2012. Après, il faudra remettre à plat ce projet, inverser les priorités en partant d’une transformation profonde du réseau RER et métro existants. En tout état de cause, je pense que survivront à ce réseau pharaonique deux tangentielles absolument nécessaires, l’une au nord La Défense –Saint-Denis-Bobigny et l’autre au sud autour d’un axe Orly-Créteil-Marne la Vallée.