Grand Paris, réinventer la ville-monde…et la vie de quartier
© Le Monde. Michaël Silly (fondateur du think-tank Ville hybride)
En parallèle des grandes infrastructures urbaines du tracé du Grand Paris, des alternatives émergent. Souvent issues d’initiatives locales, et portées par la société civile, elles répondent plus finement à la complexité des besoins en matière de mobilité et du vivre ensemble.
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L’innovation urbaine est un pilier de l’aménagement du Grand Paris (dont le décret du schéma d’ensemble du futur supermétro a été voté à l’Assemblée nationale le 24 août dernier). Elle concerne les 72 futures gares et les opérations – logement, équipements…- regroupées dans les 17 contrats de développement territorial (CDT), ainsi que les propositions de Paris Métropole (association regroupant une centaine de collectivités d’Ile-de-France, dont Paris, qui est à l’origine de l’initiative). La concertation publique concernant les tracés sera lancée pendant l’automne. Il s’agit d’une occasion unique d’influer sur le contenu des programmes d’aménagement. Mais qu’est-ce au juste l’innovation urbaine ? Elle est intrinsèquement liée à l’histoire, aux spécificités culturelles et sociales des territoires, et ce, à différentes échelles (rue, quartier, commune…).
L’innovation urbaine à l’heure de la mondialisation et d’Internet, c’est la capacité pour un territoire d’intégrer le monde, les richesses sociales et culturelles des autres parties du globe. Dans le cas du Grand Paris, cela est facilité par la présence de dizaines de nationalités sur les différents territoires. L’innovation urbaine est à la fois, la prise en compte de ce socle (par exemple, la station de métro Université-de-Naples, imaginée par le designer anglo-égyptien Karim Rashid, mélange cultures ancestrales et vision futuriste), des modes de vie des habitants et la création de nouveaux usages par les équipes d’architectes et d’urbanistes (les bâtiments aux normes HQE ou BBC renvoient à de nouvelles pratiques, notamment au niveau de l’utilisation des moyens de chauffage). Ces équipes cherchent à laisser suffisamment de latitude aux habitants pour inventer eux-mêmes de nouveaux usages, et faire évoluer leurs pratiques. Des études révèlent par exemple, que la première motivation des utilisateurs de co-voiturage est financière. Le lien instauré par la suite entre les usagers, devient la raison centrale d’utilisation de ce mode de déplacement. A l’inverse, on constate une tendance à la privatisation de l’espace dans les transports publics, à un cloisonnement de l’individu vis-à-vis des autres usagers (certains déposant leur sac sur le siège voisin, d’autres restant assis sur les strapontins aux heures d’affluence). Les concepteurs de tramway, de wagons, de bus, sont ainsi amenés à prendre en compte cette évolution pour rendre ces espaces publics plus agréables et propices aux échanges entre les voyageurs.
FLUIDIFIER LES ECHANGES ENTRE LES PERSONNES
L’innovation urbaine, c’est donc réunir à la fois les éléments pour permettre l’évolution des pratiques et une dimension laissée à l’imprévisible, à ce qui ne peut-être anticipé : les échanges entre les personnes. Ils sont essentiels au développement d’un quartier, d’une commune, car ils vont faire émerger de nouvelles activités économiques, culturelles et associatives. D’où la nécessite de toujours prévoir des espaces « inutiles » propices aux rencontres. Un autre aspect essentiel de l’innovation urbaine est de conjuguer durée du projet, et implication des habitants dans le contenu des programmes d’aménagement. C’est l‘exemple du Collectif etc, qui a supervisé du 14 au 31 juillet 2011 la transformation par les habitants eux-mêmes d’un terrain vague en un espace public temporaire à Saint-Etienne, « Place au changement ». Le projet se veut une étape préliminaire dans le processus de création d’un bâtiment. L’idée est de dessiner au sol un plan fictif des futurs logements, tout en le représentant en coupe (voir photo ci-dessous). Cet ensemble permet de se projeter dans le volume virtuel du futur immeuble. Il s’agit d’une initiative remarquable car elle intègre la dimension citoyenne à la durée du projet d’aménagement. Elle valorise les habitants. Elle renforce le sentiment d’appropriation du futur espace aménagé, et par là-même son utilisation plus responsable.
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C’est également l’exemple du « 6b » à Saint-Denis, initiative privée lancé par l’architecte Julien Beller. Il s’agit d’un lieu de diffusion culturelle, qui propose des ateliers à une centaine d’artistes, et qui leur permet d’exposer. L’originalité provient du fait que le lieu est animé et entretenu par les associations du quartier environnant. Les artistes hébergés en ont ainsi profité pour organiser des activités artistiques et culturelles pour les riverains (danse, cinéma, art plastique…). Se créent alors des liens entre artistes, enfants, associations issues du quartier (et bien au-delà), contribuant largement à son désenclavement. On peut imaginer adapter ces initiatives remarquables aux territoires du Grand Paris dont les premiers projets sortiront peu avant 2020 et qui s’étaleront jusqu’à 2030-2040. Pour éviter de reproduire les erreurs des « villes nouvelles » des années 60, les contrats de développement territorial (CDT) et les propositions de Paris Métropole doivent intégrer dans le processus global, la participation des habitants, des riverains, des usagers des différents services (transport, culture…) aux contenus des programmes d’aménagement. Cet enrichissement passera notamment par la restauration d’un dialogue fructueux entre les élus, les habitants, et les experts ; dialogue aujourd’hui de médiocre qualité, due à l’absence d’entités intermédiaires représentatives, et à des échanges entre élus et habitants trop sur la défensive (donnant souvent lieu à des échanges vifs). Cerner les usages d’un territoire – tant ceux développés par les habitants, que par les personnes appelées à le traverser… et à s’y arrêter, pour éviter le syndrôme no man’s land – les pratiques développées localement, les habitudes mais également les besoins, les aspirations des personnes, et des groupes qui le composent, constitue un élément déterminant dans la réussite des projets d’aménagement. Il permet de développer un objectif commun et d’établir ensemble la stratégie de mise en oeuvre opérationnelle. Cette pratique permet également d’élever l’ambition du projet, sans forcément en augmenter le coût.