A qui profite le Grand Paris ?

© le Monde. Béatrice Jérôme

Cols blancs pressés et banlieusards stressés devraient souffler. D’ici à 2025, l’exténuant périple quotidien des Franciliens qui passent en moyenne une heure et demie par jour dans les transports en commun pourrait devenir une promenade de santé. Le « protocole entre l’Etat et la région relatif aux transports en Ile-de-France » a été qualifié par Jean-Paul Huchon, président (PS) du conseil régional, et Maurice Leroy, ministre de la ville, chargé du Grand Paris, d’« historique » lors de sa présentation en grande pompe, mercredi 26 janvier. Pour la première fois depuis la fin des années 1990, un gouvernement décide d’investir massivement dans les transports de la première région française. Alors que l’Etat et le conseil régional chargés effectivement de ce secteur depuis 2006 se renvoient la responsabilité de l’obsolescence des RER et de la saturation des métros, l’accord présenté mercredi signe une volonté commune de conjuguer les moyens par-delà les jeux de rôle partisans. Cet accord, enfin, porte un projet que caressent depuis des décennies les ingénieurs et les élus : un métro circulaire autour de Paris qui met un terme à la congestion de la capitale et remédie à l’usage toujours trop massif de la voiture. Pour autant, l’union sacrée politique PS-PCF-UMP-Nouveau Centre que suscite l’accord – dénoncé par les écologistes – ne suffit à masquer ni le flou qui l’entoure ni les incertitudes sur sa mise en oeuvre.

Réduction des temps de parcours et désaturation.

Pour Jean-Luc Laurent, maire du Kremlin-Bicêtre, délégué chargé du Grand Paris à la région Ile-de-France, « tout le monde est gagnant ». A commencer « par les Franciliens d’aujourd’hui ». »Dans ce plan, il y a du plus et du mieux », s’est félicité, lors de la présentation du « protocole », Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’écologie et des transports. Le plus est un projet de métro automatique d’une longueur estimée entre 120 et 170 km, qui ondulera autour de Paris d’ici à 2025. Son tracé résulte de la fusion entre le projet baptisé Arc Express, défendu par le conseil régional, et la « double boucle » imaginée par Christian Blanc, ex-secrétaire d’Etat à la région capitale (2008-2010). Les deux projets présentés comme concurrents dans les deux débats publics qui se terminent le 31 janvier s’articulent finalement assez naturellement.

Accélération et rattrapage.

Le futur métro devrait désaturer Paris par une boucle en petite couronne, désenclaver les cités par un double arc à l’est et relier la capitale au monde par des liaisons rapides aux aéroports. Mais tout n’est pas réglé. Dans l’Essonne, le gouvernement a pris l’engagement de desservir le plateau de Saclay par un métro automatique d’ici à 2020, mais la région s’y oppose. Ce tronçon reste donc hypothétique. Au sud-est, l’Etat n’a pas encore validé le tracé du métro à cheval sur le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis. La Société du Grand Paris, maître d’ouvrage désigné par la loi de juin 2010 pour réaliser la rocade, envisageait des gares tous les 4 km. Le projet final en prévoit une environ tous les 1,5 km au maximum – 500 m pour le métro. Le nombre de stations n’est toutefois pas arrêté. Grâce à cette rocade, les gains de temps seront de toute façon importants. Pour aller de Châtillon (Hauts-de-Seine) à Créteil (Val-de-Marne), comme pour aller du nord des Hauts-de-Seine à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), il faudra 20 minutes de moins qu’au-jourd’hui. L’aéroport d’Orly ne sera plus qu’à 35 minutes, sans changement, de la gare Saint- Lazare, contre près d’une heure à ce jour. Roissy sera à seulement 25 minutes de Paris contre 45 au mieux, actuellement. « A condition qu’il y ait plus de trains avec une alternance d’omnibus et de métros rapides », met en garde l’urbaniste Jean-Marie Duthilleul. Cheville ouvrière du projet de transports conçu par les dix équipes d’architectes missionnées en 2007 par M. Sarkozy sur le Grand Paris, M. Duthilleul insiste : « La connexion des lignes et la régularité des trains est aussi stratégique que la création de nouveaux tracés. » Le protocole intègre le « plan de mobilisation » de la région qui porte sur 60 projets à réaliser d’ici à 2020 – hors rocade de métro -, dont 24 sont déjà engagés. Les priorités portent sur la modernisation des RER A, C et D et sur l’extension du RER E-Eole entre Saint-Lazare et la Défense. Dans le cadre de ce plan, l’Etat s’engage à honorer des promesses déjà anciennes s’agissant du financement de liaison en bus entre Massy et Saclay ou bien du tramway de Clichy-Montfermeil. Et d’autres qui sont nouvelles, comme le cofinancement du prolongement du tramway des Maréchaux de la porte de la Chapelle jusqu’à la porte d’Asnières (T3) pour exaucer les demandes réitérées de Bertrand Delanoë.

Un plan de financement incertain.

Sur le papier, la manne est considérable : 32,4 milliards d’euros sur quinze ans sont prévus. L’effort de l’Etat et des collectivités se répartit de manière presque égale. Pour la région, les huit départements d’Ile-de-France et le Syndicat des transports d’Ile-de-France, l’effort est de plus de 11 milliards d’euros. Il est de près de 10 milliards pour l’Etat, dont 1,08 milliard d’euros d’ici à 2013, soit quasiment le double de ses crédits actuels. A cela s’ajoutent 9 milliards d’euros issus de l’augmentation de la fiscalité sur les entreprises, votée par le Parlement pour rembourser l’emprunt de 7 milliards contracté pour construire la rocade. Mais cette hausse de la fiscalité ne suffira pas à couvrir aussi le coût d’exploitation du réseau. Il convient de distinguer les engagements fermes et les promesses. L’épreuve de vérité pour l’Etat se situe en 2014, quand il devra débourser les 4 milliards prévus pour la caution nécessaire à l’emprunt de la Société du Grand Paris. Il faudra encore des modifications législatives pour débloquer de nouvelles recettes fiscales. Le gouvernement s’est engagé à rouvrir le chantier financier après la présidentielle. Rendez-vous est pris en 2013 pour dresser le bilan des besoins.

Probable flambée de l’immobilier.

Les banlieues vont bénéficier du projet, surtout à l’est, avec une double desserte en métro automatique. Mais l’arrivée d’un nouveau réseau de transport en commun comporte un risque : amplifier la relégation de populations les plus modestes toujours plus loin de Paris sous l’effet de la montée des prix des terrains autour des gares. « On a pris le problème à l’envers, affirme l’architecte Roland Castro. Au lieu de commencer par les transports, l’urgence était d’imaginer la manière d’urbaniser et d’humaniser le Grand Paris. » A ce jour, les dix équipes d’architectes, bien que souvent consultées par le chef de l’Etat, manquent de moyens pour approfondir leurs études. Pourtant, le Grand Paris ne peut pas se résumer à ce qu’ils appellent « un plat de spaghettis » : une carte des RER, trains, bus et métros. Même s’ils arrivent, enfin, à l’heure.



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