Le « Grand Paris » n’est pas qu’un grand métro

© Le Monde. Albert Levy

La première réunion publique sur le « Grand Paris » lancée par la Commission nationale du débat public (CNDP) s’est tenue le 30 septembre à Paris, au Palais des Congrès. Deux grands projets de transport collectif s’affrontent : celui du gouvernement, dit « Grand Huit », et celui de la région, appelé « Arc Express », auxquels est venu s’ajouter, d’une manière inattendue, un troisième projet, celui de certains architectes qui ont participé à la consultation internationale, baptisé « Troisième Voie ». Furieux d’avoir « été roulés dans la farine », explique l’architecteRoland Castro, depuis deux ans par le gouvernement qui les a fait travailler tout en préparant en silence son projet, puis par la promesse d’un Atelier international du « Grand Paris » où ils devaient poursuivre leur réflexion, et qui n’a pas encore vu le jour, ces derniers sont passés à l’action en proposant leur projet.

Le « Grand Huit » (130 km), dépassant le métrophérique (initialement prévu à 3 km du périphérique) se déploie largement en grande couronne Ouest (Versailles/Saclay) et Est (Noisy-Champs/Roissy), tout en traversant Paris ; l' »Arc Express » (60 km) est constitué, pour l’instant, de deux tracés tangentiels en petite couronne, au Nord (Nanterre/Bobigny) et au Sud (Meudon/Créteil), avec une extension en seconde couronne vers Noisy-le-Grand. Cette présentation des tracés est bien sur rapide et chaque projet possède aussi plusieurs variantes. Si ces deux projets sont des métros automatiques souterrains connectés au réseau de transport en commun existant, celui de la « Troisième Voie », reprenant une idée de Christian de Portzamparc, est un métro entièrement aérien, au-dessus de l’A 86, avec une incursion au Nord vers Roissy et à l’Ouest vers Saclay, tandis qu’à l’Est une seconde boucle est prévue en grande couronne (Noisy-le-Grand/Aulnay-sous-Bois) pour desservir et désenclaver certains « quartiers difficiles ».

En ces temps d’économie budgétaire, on peut se demander ce que cette initiative du « Grand Paris » a coûté : une consultation internationale d’architectes et une exposition qui n’ont servi à rien – sinon comme effet marketing et publicitaire pour lancer l’action – le gouvernement préparait dans son coin son propre projet et a créé, pour cela, une structure inédite, un secrétariat d’Etat au « Grand Paris » qui a fonctionné quelques années, avec un quarantaine de personnes, pour finalement s’évanouir dans la fumée des cigares de son patron, Christian Blanc. Ce projet de transport non démocratiquement élaboré, sans la moindre concertation avec les acteurs concernés et les collectivités intéressés, est aujourd’hui contesté par les deux projets alternatifs et rejeté par l’opposition. Avant sa démission en juillet 2010 Christian Blanc a eu cependant le temps de faire voter sa loi sur le « Grand Paris » en mai et d’installer la Société du Grand Paris, bras armé de l’opération estimée à près d’une trentaine de milliards d’euros. Revenant à des pratiques jacobines d’un autre temps, l’Etat a fait fi de la décentralisation et de l’autonomie régionale en imposant sa solution. Quant au débat public, ouvert jusqu’à fin janvier 2011 à l’ensemble de la population, il n’est ni un lieu de décision ni même de négociation, il n’est qu’un simple moment d’information et d’écoute, c’est-à-dire le degré zéro dans l’échelle de la participation.

Une question de définition se pose avec ce projet de « supermétro » : vu la distance entre les gares il faudrait plutôt parler de RER, le métro est adapté aux zones denses : l’usage du terme métro est ici abusif et trompeur, il cherche à introduire une idée d’urbanité dans le projet, alors qu’on est surtout en périurbain. D’autre part, un investissement de cette taille n’exige-t-il pas des études de faisabilité et de rentabilité préalables ? Des experts ont effectivement mis en doute la viabilité économique de certaines lignes prévues.

Christian Blanc a repris la vieille idée de la circulation comme moteur de l’urbanisation. C’est ce qu’avait théorisé, il y a plus d’un siècle, l’espagnol Arturo Soria y Mata (1844-1920) avec sa ville linéaire (La Ciudad Lineal, 1896) : selon lui« tous les problèmes de l’urbanisme découlent du problème de la circulation » (il avait aussi conçu une cité linéaire de 50 Km autour de Madrid, le long d’une ligne de tramway entourant la capitale, colonne vertébrale du projet constitué par une bande construite de 450 m de large ; un fragment réalisé de ce projet est actuellement noyé dans l’urbanisation environnante). M. Soria a été à l’origine de l’urbanisme des réseaux. Il semble, en effet, avec ce projet de « Grand Huit », qu’on revienne à l’urbanisme des réseaux des années 1970-1980 (rôle hégémonique des réseaux dans la conception urbaine), concrétisé dans le schéma directeur d’aménagement de la région parisienne de 1965 avec ses villes nouvelles articulées au réseau des autoroutes et au réseau RER, lequel a contribué à renforcer la structure radiale de la région. Le « Grand Huit », avec sa double boucle, voudrait, en quelque sorte, la compléter par une structure concentrique pour faciliter les déplacements de banlieue à banlieue. Mais, ne risque-t-il pas d’induire une ville linéaire le long de ces axes, comme on peut l’observer, par exemple, le long de la ligne A du RER en direction de Chessy-Val d’Europe ? La circulation et ses supports ont toujours été des catalyseurs d’urbanisation.

POUR ÊTRE PLUS QU’UN SIMPLE PLAN DE RER

Ce projet de « super RER » laisse de côté les autres grands défis que la métropole parisienne doit affronter dans le contexte actuel et futur de la mondialisation et de l’ère post-Kyoto, et auxquels les équipes de la consultation internationale avaient essayé d’apporter des réponses et des idées. Peut-on réduire un projet métropolitain de cette ampleur (12 millions d’habitants) à un simple réseau de transport en commun aussi sophistiqué soit-il, un « métro » automatique ? D’une part, ce projet de réseau devrait être pensé, dès le départ, dans son articulation à une forme urbaine où il s’insère comme infrastructure, dans sa relation à un espace urbain qu’il dessert, entrer en dialogue avec le paysage qu’il traverse… : la question des rapports entre ville et infrastructure ne peut plus être conçue, comme par le passé, en termes purement fonctionnels et techniques. D’autre part, il devrait également être relié aux autres dimensions urbanistiques. Comme projet métropolitain, le « Grand Paris » doit faire face à de nombreux défis tels que :

– La question de la gouvernance et des structures métropolitaines, condition nécessaire et préalable à toute action, que la Conférence métropolitaine créée en 2006, devenue Paris Métropole en 2009, essaye progressivement de construire : défi institutionnel et démocratique ;

– Les inégalités territoriales, voire la fracture territoriale qui laisse dans le Nord et dans l’Est de la deuxième couronne, des quartiers entiers ghettoïsés en déshérence, le problème des banlieues sensibles que la politique de la ville tente de résoudre depuis plus de trente ans : défi social et politique ;

– Le développement économique d’une région en perte de vitesse dans la compétition mondiale et la nécessaire création d’emplois dans les nouveaux secteurs stratégiques (informatique, culture, médias, biotechnologies…), la politique du gouvernement et de son ministère de la relance ont du mal à se concrétiser en Ile-de-France : défi économique et technologique ;

– La pénurie de logement devenue chronique en région parisienne, on ne compte plus les demandes en attente, les mal-logés, les SDF…, les opérations de rénovation de l’ANRU et l’offre de logements sociaux restent insuffisants par rapport aux besoins énormes à satisfaire : défi de l’habitat social ;

– Les déplacements aujourd’hui : si le « Grand Huit » cherche une solution aux déplacements dans la région pour les vingt ans à venir, il reste à résoudre la galère quotidienne des usagers des transports en Ile-de-France dont on connaît l’état du matériel vieilli, la saturation des réseaux, les défaillances techniques…, la région s’est engagée à hauteur de 18 milliards pour améliorer les transports en commun et attend une contribution des entreprises et surtout de l’Etat : défi (actuel) des transports en commun.

– L’environnement (et la santé) : si ce problème est appréhendé par le projet du « Grand Huit » qui a également pour visée la diminution des déplacements motorisés et du nombre de véhicules en circulation, afin de réduire les gaz à effet de serre et la pollution en Ile-de-France, quid du transport des marchandises et de l’énergie électrique dont on connaît l’origine ? De plus, l’éloignement de l’agglomération d’une bonne partie du tracé ne risque- t-il pas de favoriser un certain étalement urbain ?

Voilà quelques questions, parmi d’autres, rapidement posées, auxquelles le « Grand Paris », pour être plus qu’un simple plan de RER, devrait apporter des réponses pour devenir un véritable projet métropolitain, en les appréhendant dans leurs interrelations et leurs interdépendances, et en relevant le défi de la complexité dans la métropole post-Kyoto.

 

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