Grand Paris : faut-il croire au pari de Christian Blanc ?

© Le Monde, Béatrice Jerôme

Des économistes contestent le choix d’un développement fondé sur neuf pôles économiques.

Miracle ou mirage économique ? La double boucle du futur métro, qui enrubannerait Paris d’ici à 2030, permettrait de créer près d’un million d’emplois en quinze ans et de doubler le taux de croissance de l’Ile-de-France. C’est ce qu’affirme Christian Blanc qui présente, mardi 24 novembre, son projet de loi, en première lecture, devant les députés. Fermement soutenu par Nicolas Sarkozy, le secrétaire d’Etat à la région capitale croit à l’effet de levier de ce grand chantier, dont le coût est estimé à 21 milliards d’euros. Son avis est cependant loin d’être partagé par la communauté des économistes, spécialistes de l’Ile-de-France.

Promoteur des pôles de compétitivité, créés partout en France depuis 2005, M. Blanc estime que l’Ile-de-France a des atouts dans la compétition internationale, qu’elle valoriserait davantage si les activités de recherche et de production dans un même secteur étaient concentrées sur un même territoire. Sa référence : la Silicon Valley, en Californie. M. Blanc a identifié neuf pôles régionaux comme étant les  » unités de base d’un modèle économique adapté au XXIe siècle « , fondé sur  » l’économie de l’innovation  » et la  » spécialisation.  »

Il s’agit, à l’ouest, de La Défense, (finance), du territoire autour d’Achères (industrie de l’éco-mobilité) ; au nord, de Roissy-Villepinte (aéroport), du Bourget (aéronautique), de Plaine Commune (métiers de l’image) ; à l’est, de Noisy – Marne-la-Vallée – la Cité-Descartes (construction et services pour la ville durable) ; au sud, d’Evry (Vallée des biotechnologies) ; au sud-ouest de Saclay (recherche scientifique) et, au centre, de Paris (tourisme et rayonnement international).

Pour valoriser ces pôles auprès des investisseurs étrangers, il est crucial de les rendre facilement accessibles par les aéroports de Roissy et d’Orly et de les relier entre eux. Le métro rapide de 130 kilomètres en serait  » le système nerveux central « , selon Marc Véron, directeur de cabinet de M. Blanc.

La démonstration ne convainc pas les experts extérieurs à l’équipe de M. Blanc. L' » effet d’entraînement des pôles sur l’économie  » n’est nullement assuré, écrit l’urbaniste Daniel Béhar dans la revue Réflexions immobilières d’octobre 2009. Aujourd’hui,  » l’excellence scientifique se joue entre la Montagne-Sainte-Geneviève, Evry et Saclay « , affirme cet enseignant à l’institut d’urbanisme de Paris. De même,  » les affaires et la finance ne sont pas l’exclusivité du pôle de la Défense mais l’attribut de tout l’Ouest parisien « , ajoute-t-il. Plutôt que parier sur des  » locomotives « , suggère M. Béhar, mieux vaudrait renforcer les  » synergies  » en misant sur  » l’ensemble du territoire métropolitain.  »

Président de l’Agence régionale de développement de l’Ile-de-France, Denis Tersen craint une attractivité de  » ghettos.  » A rebours de cette vision, cet ancien conseiller pour les affaires internationales et le commerce extérieur de Dominique Strauss-Kahn au ministère de l’économie estime qu' » il faut mixer et non enclaver. Les clusters doivent être en partie déspécialisés « . Et de citer le cas de Renault qui  » a installé, en 2003, une équipe avancée de designers au coeur du quartier de la Bastille.  »  » L’ingénieur a aujourd’hui besoin d’être dans la rue, dans la vie « , ajoute-t-il.

Dans un article, paru en novembre sur le site Internet La Vie des idées.fr, co-signé avec trois autres experts, l’économiste Ludovic Halbert met en garde contre le risque de  » dualisation de l’espace urbain « .  » La mobilisation des acteurs privés et publics pour faciliter l’arrivée de capitaux extérieurs risque d’encourager les tensions sur les prix du foncier « . Cela pénaliserait les Franciliens  » modestes qui assurent les fonctions de support nécessaire au fonctionnement quotidien de la métropole « , soutiennent les quatre auteurs.

La contestation porte aussi sur le risque de surdimensionnement du nouveau métro. Gérard Lacoste, directeur adjoint de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Ile-de-France (Iaurif), conteste les projections chiffrées du projet de loi. Dans une note écrite en novembre, cet économiste estime que dans vingt ans, l’Ile-de-France comptera 1,2 million d’habitants supplémentaires dont les trois quarts auront plus de 60 ans.

Créer un million d’emplois dans les quinze ans, soit multiplier par cinq le rythme de création actuel, supposerait, selon lui, de faire appel massivement aux habitants d’autres régions françaises, voire de recourir à une main-d’oeuvre étrangère.

M. Blanc prévoit 3 millions de voyageurs quotidiens dans le futur métro. Or, souligne M. Lacoste les allers-retours travail-travail ne représentent que 3 % du total des déplacements en Ile-de-France. Quelle est donc l’utilité d’un métro automatique,  » conçu d’abord pour relier des entreprises à des entreprises ? « , demande le directeur adjoint de l’Iaurif. Projet  » surdimensionné  » sur une partie de son tracé, le métro de M. Blanc risque d’être source de  » gaspillage  » de l’argent public, s’inquiète cet expert de l’économie régionale.

Béatrice Jérôme


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