Le « Grand Pari(s) » s’expose

01.05.2009©Danielle Birck, RFI

Détail de la scénographie de l'exposition. © Jean-Christophe Quinton.

En inaugurant la Cité de l’architecture et du patrimoine, le 17 septembre 2007, Nicolas Sarkozy émettait le souhait qu’un « nouveau projet d’aménagement global du grand Paris » puisse faire l’objet d’une consultation internationale. Un peu moins de deux ans plus tard le président français vient d’inaugurer, dans le même lieu, l’exposition qui présente les résultats du travail des architectes et urbanistes de renommée internationale sollicités pour cet exercice de prospective sur la métropole parisienne de demain. Au total dix projets, ou plutôt des scénarios pour le futur, à voir jusqu’au 22 novembre 2009.Des scénarios, ou mieux encore des « stratégies », préfère dire Jean Nouvel. L’architecte français, lauréat du prestigieux Pritzker Prize 2008, fait partie des dix équipes d’architectes et urbanistes internationaux qui ont travaillé pendant près d’un an sur le futur de la capitale à l’horizon 2050. Des équipes emmenées par des « grosses pointures » comme on dit, qui ont nom Richard Rogers, Yves Lion, Djamel Klouche, Christian de Portzamparc, Antoine Grumbach, Finn Geipel & Giulia Andi, Roland Castro, Bernardo Secchi & Paola Vigano, Winy Maas. Des équipes qui ont été retenues, en juin 2008, par un jury comprenant des représentants de l’Etat et des collectivités.

C’est dans l’imposante galerie des moulages qui retrace l’architecture civile et religieuse du XIIe au XVIIIe siècle, sous le regard (indifférent ? dubitatif ?) de quelques saints de pierre, qu’ont été dressés – comme des tours – les modules contemporains semi ouverts où sont présentés les projets des dix équipes. Une scénographie signée Jean-Christophe Quinton qui a laissé à chaque équipe le soin d’investir son espace pour y présenter sa proposition. Une inscription à l’extérieur en annonce l’axe directeur.

Convergences

Des projets, on y revient, qui ne sont pas destinés à être réalisés. Il ne s’agit pas d’un concours d’architecture ou d’urbanisme d’où on extrairait un lauréat, mais de pistes, suggestions, « stratégies », étayées par des analyses d’experts et d’universitaires pour concevoir cette métropole du futur. « La question urbaine réunit aujourd’hui toutes les composantes », se félicite Yves Lion.

En dépit des différences dans les proposition affichées au final , il y a convergence, à la fois dans la prise en compte d’éléments de base et dans les orientations dégagées. D’autant que si la réflexion concernait en particulier l’avenir de l’agglomération parisienne, il s’agissait aussi de s’interroger, plus globalement, sur l’avenir de « la métropole du XXIe siècle de l’après-Kyoto »[1]. Ce qui d’emblée a fait du développement durable un des fils directeurs de la réflexion. Encore que Roland Castro soulignait, lors du colloque qui a réuni toutes les équipes le 17 mars dernier, que « la bonne manière de faire la ville ne devrait pas être dépendante de la panique climatique », mais qu’on devrait peut-être considérer qu’il s’agit « d’abord d’une révolution philosophique »…

Révolution philosophique ou pas, il n’en reste pas moins que les pistes suggérées vont à l’encontre de beaucoup de postulats qui ont nourri la conception de la ville au cours de la seconde moitié du XXe siècle, sur la densité urbaine, la banlieue, la mobilité, le rapport ville/campagne, la relation travail/habitat…

Le Grand Paris vu par l'équipe 6 (Jean Nouvel, Jean-Marie Duthilleul et Michel Cantal-Dupart). © Atelier Jean Nouvel.

La demi-heure

Il faut dire qu’entre temps la réalité socio économique a évolué et si, au fin des années 1960/début des années 1970, l’édification d’une « ville nouvelle » comme Cergy Pontoise, reposait sur l’idée qu’il fallait faire coïncider emploi et habitat, aujourd’hui il s’agit plutôt d’insister sur les transports et la mobilité. Comme, si l’on en croit une étude prospective, citée par d’ici à 2030, à 38 ans un individu aura eu plus de dix emplois différents, il s’agit effectivement de faciliter les transports. Des transports déjà devenus problématiques : « tant que le déplacement sera la première cause d’angoisse au réveil et mordra sur le sommeil, ça n’ira pas », constate Jean Nouvel, qui préconise que dans le futur parisien on puisse « aller partout en une demi-heure » et suggère un nouveau plan de métro rapide reliant entre eux les principaux pôles de développement de l’agglomération.

A mettre en regard le train circulaire aérien de Christian de Portzamparc, inspiré de celui de Tokyo. Il est vrai, souligne Bernardo Secchi (Studio 09) qu’il y a un certain paradoxe « à mettre 1h15 pour aller de Paris à Bruxelles, et 1h30 pour traverser Paris » …

Désenclavement, « dézonage »

De son côté, le groupe Descartes (Yves Lion) veut réduire les trajets quotidiens d’une demi heure, tandis que l’équipe d’Antoine Grumbach – pour qui « la mobilité est la question principale de la métropole de demain » – lance le concept de « ville à 20 minutes ». Par « ville », l’architecte urbaniste entend celles situées sur les 350 kilomètres de la vallée de la Seine, Une manière de fonder « géographiquement », sur un axe Paris-Rouen-Le Havre, « l’identité » d’une l’agglomération conçue à grande échelle qui devient la « Seine Métropole », intitulé du projet de l’équipe. Un projet qu’une citation de Bonaparte ancre dans l’Histoire : « Paris, Rouen, Le Havre, une seule ville dont la Seine est la grande rue », paroles prononcées par le futur empereur au Havre en 1802 …

Une « Seine Métropole » qui est aussi une manière d’en finir avec « l’opposition ville/nature ». « Je veux l’intensité urbaine et en même temps être dans la nature », affirme Antoine Grumbach. « Ni la ville, ni la campagne », déclare Christian de Portzamparc, qui préconise « des îles bâties au cœur d’une nature préservée pour un nouveau mode d’habiter propre à nos périphéries ». Pour Yves Lion, la « révolution urbaine passe par la fin de la séparation ville/campagne » et, signale-t-il, « on a la possibilité de nourrir la région parisienne avec l’agriculture de la région parisienne », tandis que Grumbach met en avant l’exemple de la ville de San Francisco où « sur un rayon de 35 kilomètres on produit plus de 30% de la nourriture nécessaire à la ville ».

Le Grand Paris vu par l'équipe 9 (Castro, Denissof et Casi). © Equipe Atellier Castro, Denissof et Casi.

L’ambiguïté du vert

Ne pas séparer, tout en prenant soin de l’environnement, et en donnant leur place à la nature et aux espaces verts. Mais attention : « le vert est souvent un moyen de séparation sociale (…) il faut pouvoir traverser, et non entourer » ! La mise en garde émane de Paola Vigano, du Studio 09 (tiens, une femme !), qui relève au passage que la biodiversité est « fortement liée à la socio diversité ».

Une remarque qui n’est pas pour déplaire à Roland Castro, l’auteur de Faut-il passer la banlieue au karcher et Remoder, Métamorphoser. Lequel signale, qu’à l’instar de La Lettre volée, d’Edgar Poe, où « tout était sur la cheminée », à Paris, « tout est là, avec notamment le parc de la Courneuve, plus grand que Central Park » à New York. Et de proposer que ce parc de la Courneuve devienne un trait d’union entre les communes qui le bordent, désenclavé par une façade urbaine, popur en finir avec « les frontières invisibles ». D’où l’insistance aussi de l’équipe Castro/Denissof/Casi sur le concept d’urbanité : « le Grand Paris est l’espace du devoir d’urbanité, c’est-à-dire la fin des banlieues. C’est un espace multipolaire fait de lieux symboliques, de lieux de voyage, sur lequel le développement économique marche avec la solidarité ».

Et maintenant, ou après ? La question reste posée. Si « Faire le Grand Paris en dix ans », à partir de 2012, comme l’a annoncé Nicolas Sarkozy lors de l’inauguration de l’exposition, semble relever davantage de l’effet d’annonce, il n’en reste pas moins qu’il va falloir agir. Yves Lion, a perçu « une volonté politique forte », et Roland Castro, qu’a priori on ne peut suspecter de complaisance avec le pouvoir en place, « un respect de ce qu’on (les architectes) raconte ». Pour lui, « c’est lancé, c’est peut-être historique ».

Quoiqu’il en soit de l’avenir du Grand Paris, une chose au moins est acquise, formulée par Roland Castro : « Les ego surdimensionnés des architectes vont travailler ensemble pour penser ensemble un projet de société »…

[1] Le Protocole de Kyoto, ouvert à la ratification en 1998 et entré en vigueur en 2005, impose aux pays signataires (172 à ce jour, à l’exception notable des Etats-Unis) des objectifs chiffrés de réduction d’émission des gaz à effet de serre d’ici 2012.

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