« Mais pourquoi aiment-ils (maintenant) autant Haussmann ? » par Luc Dupont, architecte

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La Place de l'Europe par temps de pluie de Gustave Caillebotte (1877).

A mon grand regret je n’ai pas retrouvé une photographie que j’avais prise il y a quelques années… boulevard Haussmann, sur un immeuble en cours de rénovation (façadisme ?). Une immense affiche dissimulant le chantier affirmait de manière mystérieuse et péremptoire: « Merci Monsieur Haussmann ».

Je vous avoue que, sans esprit polémique, j’étais un peu stupéfait… et que je me demandais un peu ce que contenait ce message, ce qui le motivait !

A l’occasion de deux sujets majeurs aujourd’hui à Paris (la question des tours, le Grand Paris), la présence et la référence au baron Haussmann ressurgissent de manière prégnante et étonnante. Quel architecte « aux commandes » de ces projets ne vante-t-il pas les qualités visionnaires et « modernistes » du baron pour justifier ses projets ? Je passerai rapidement sur l’opportunisme de telles déclarations : tel architecte qui a été mon enseignant et qui prônait à ses étudiants la ville multiple, bigarrée, contradictoire… (la ville, c’est là où il y a des truands, des ouvriers, des bourgeois, des putes…) adopte facilement sur le Grand Paris le langage hygiéniste et volontariste du pouvoir, quels que soient vos sentiments humanistes, vos envies démocratiques, votre sensibilité artistique ou vos souhaits créatifs ! Dans un collage régressif, il vous propose de vous soumettre au travail d’autrui.

Haussmann est donc utilisé aujourd’hui comme limite à partir de laquelle il sera jugé si vous êtes apte ou non au changement ! Ceux qui renient le baron sont qualifiés de passéistes, de régressifs, d’historicistes… comme si les travaux haussmanniens constituaient le « minimum » de ce qu’il est possible et nécessaire de réaliser. Avant de poursuivre cette réflexion, examinons quelques cas pratiques :

Exemples de transformations haussmanniennes

Haussmann a l’obsession de la ligne droite, ce que l’on a appelé le « culte de l’axe » au 17ème siècle. Pour cela, il est prêt à amputer des espaces structurants comme le jardin du Luxembourg mais aussi à démolir certains bâtiments comme le marché des Innocents ou l’église Saint-Benoît. Des boulevards et avenues sont percés de la place du Trône à la place de l’Etoile, de la gare de l’Est à l’Observatoire. Haussmann donne également aux Champs Elysées leur visage d’aujourd’hui (Wikipédia)

Nous ne saurions être exhaustifs : nous choisirons deux exemples emblématiques des violences qu’a subies la ville…

L’Ile de la Cité, coeur historique de la ville, a été anéantie pour sa moitié au moins par les transformations haussmanniennes : il existe une photographie aérienne qui rend compte du saccage opéré.
Je ne sais pas quelle est votre expérience et votre sentiment sur l’Ile de la Cité. S’il n’y avait la cathédrale Notre Dame, la Sainte Chapelle, la Conciergerie et la place Dauphine… irions nous nous y promener ? L’espace est dévasté, triste, le parvis de la Cathédrale trop grand (contrairement au principe de construction des cathédrales)… Le coeur de la ville est anéanti !
Le boulevard de Sébastopol (boulevard du Centre) ouvert en 1854 constitue également un exemple intéressant des percées haussmanniennes.

Modernité… ou « modernisme »?

S’offusquer d’une telle violence dans les transformations de la ville, ce n’est nullement refuser le changement, et même la modernité. Pour ma part je suis partisan des formes modernes d’architecture, je les pratique… mais je ne les lie aucunement avec la nécessité de pratiquer la destruction brutale des formes anciennes urbaines ou bâties.

Car c’est bien là que se situe le débat : non dans un archaïsme de la pensée de certains, mais dans nos pratiques et l’importance que nous accordons aux valeurs du respect, de l’histoire et de la continuité des choses, aux valeurs humaines et notre conscience que les progrès ne s’effectuent que par filiation assumée, jamais par brutalisme ou élimination (négation) des valeurs ancestrales.

Le modernisme est une « idéologie »qui tente de nous faire croire à un avenir meilleur (radieux !), et qui dissimule violence, égoïsme ou opportunisme.

En conclusion provisoire…

Nous aurions pu prendre de nombreux autres exemples… En illustration nous vous montrons une image du Paris haussmannien vu par le peintre Caillebotte :
Et s’abstrayant de la qualité du travail du peintre, nous questionnons la beauté et la poésie des espaces urbains représentés.

Le renouvellement de la ville et de son architecture ne nécessitent nullement de grandes opérations. Elle est aujourd’hui plus liée aux règlements d’urbanisme qui empêchent ces transformations, de manière souvent arbitraire et idéologique. Nous reprendrons cet argument dans un prochain texte.

Luc Dupont est architecte et animateur du blog www.paris-pekin.eu

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