L’Etat sort de son chapeau une « Silicon Valley » contestée
Sibylle Vincendon © Libération
Il y a les ministres qui dégainent une initiative par semaine et les autres. Christian Blanc, secrétaire d’Etat à la Région capitale, appartient à la seconde catégorie. C’est donc au bout de huit mois qu’il a présenté hier, après feu vert de l’Elysée, le premier ouvrage de son Grand Paris : le « projet de cluster [pôle, ndlr] scientifique et technologique sur le plateau de Saclay », dont on entend aussi parler sous le raccourci plus vendeur de « Silicon Valley française ».
Sur cette zone, l’existant est déjà flatteur : 22 000 étudiants, 9 500 chercheurs, 4 400 doctorants répartis dans les labos de Paris-11, les grandes écoles, dont Polytechnique ou HEC, et quelques établissements comme le Commissariat à l’énergie atomique. A partir de ce terreau prometteur, le secrétariat d’Etat entend lancer « un nouveau type d’établissement public, qui pourrait être créé par la loi au premier trimestre 2009 », a assuré Christian Blanc. Le périmètre concerné serait vaste – « deux fois et demi Paris » -, allant de l’aéroport d’Orly jusqu’à Versailles. Le cadre d’une opération d’intérêt national permettrait au préfet de gérer l’urbanisme.
« Ovni ». Pour quoi faire ? Pour s’appuyer sur le « triangle de la connaissance », en clair éducation, recherche, innovation, afin de « créer plus de richesses ». Là où 10 000 chercheurs américains font naître 100 entreprises par an, Saclay n’en produit que 10. Le cluster doit booster tout ça, avec un arsenal classique : « thématiques fédératrices », mini-campus spécialisés et, pour les entreprises, incubateurs, pépinières et hôtels d’activités.
Mais aussi avec des moyens moins banals, dont le déménagement « éventuel » vers le plateau de la partie de Paris-11 qui est à Orsay. Cette « relocalisation » s’accompagnerait de l’arrivée d’autres grandes écoles scientifiques qui « ont exprimé leur volonté de s’installer dans cet environnement », lit-on dans le dossier. Sont recensées l’Ecole des mines, l’Ecole centrale des arts et manufactures ou l’Ecole normale supérieure de Cachan.
Cette perspective a fait bondir les socialistes. Jean-Paul Huchon, président de la région, Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé des Universités et Jean-Yves Le Bouillonnec, député-maire de Cachan (Val-de-Marne), ville de Normale sup, ont réagi dans un communiqué commun dénonçant « un processus mécanique de concentration » et le déménagement de Paris-11 « faute d’avoir investi dans sa rénovation ».
« Je l’ai dit à Fillon : c’est hallucinant que la région n’ait pas été consultée le moins du monde sur ce sujet », confiait hier à Libération, Jean-Paul Huchon, rappelant que la collectivité avait investi 250 millions en six ans sur Saclay. Quant à la « volonté » des grandes écoles de bouger, « ce n’est certainement pas vrai pour l’ENS de Cachan et il en est de même à mon avis pour Centrale et pour AgroParisTech ». D’autres affrontements sont prévisibles côté transports. Christian Blanc invente une infrastructure toute neuve : un « métro automatique rapide » entre Massy et Versailles, qui « passera en souterrain sous le plateau ». « Un ovni absolu, qui ne figure dans un aucun plan », réagissait hier Jean-Paul Huchon. Un bus en site propre lui paraît « largement suffisant pour le nombre de gens sur place ».
« Ingénierie financière ». La préservation des espaces agricoles du plateau, abondants, fâche aussi. Les élus de la communauté d’agglomération du plateau de Saclay (Caps), veulent que le projet respecte la préservation prévue de 2 300 hectares. Christian Blanc n’en « sanctuarise » que 1 800. Il a plaidé hier son approche « profondément écologique » et s’est dit prêt à regarder, « cadastre en main, avec les agriculteurs, s’il faut rajouter un peu ». Avec les agriculteurs ? Huchon affirmait hier avoir « découvert qu’on était passé de 2 300 à 1 800 par la bande », sans contact officiel. Sur le plan général, le projet ne pioche pas une idée dans les travaux de la consultation internationale, pourtant lancée, en octobre 2007, par Sarkozy en personne, sur « le grand pari de l’agglomération parisienne », en cours au ministère de la Culture. Le dossier ne contient pas non plus une ligne de financement, malgré la taille de « l’investissement total, vraisemblablement de 2,5 à 3 milliards d’euros. Nous verrons comment rendre ces financements abordables à partir d’une ingénierie financière, de modèles qui ne sont pas des modèles français ». La France, sur cette pratique, n’en est « qu’aux balbutiements », estime Blanc.
- Sibylle Vincendon