Un peu d’ordre dans le bazar du Grand Paris

Sybille Vincendon © Libération
Livres. Les projets d’aménagement passés au crible. S’y retrouver dans le débat sur le Grand Paris est à peu près aussi simple que d’aller de Goussainville à Athis-Mons par les transports en commun. De loin, on comprend qu’il s’agit d’organiser le bazar de la région parisienne. De près, on s’y perd. Un monde fou s’en mêle : l’Etat, la région Ile-de-France, la ville de Paris, des départements aussi puissants que les Hauts-de-Seine de droite, ou la Seine-Saint-Denis de gauche, sans compter une kyrielle d’hommes politiques à réputation nationale, dont le président de la République. S’enchevêtre aussi un paquet de problèmes : transports, logement, inégalités financières. Par quoi démarrer, qui doit agir ? C’est vertigineux.

Le citoyen, lui, commencera par lire le numéro que la revue Esprit a consacré à la question. C’est le manuel de survie. L’article introductif d’Olivier Mongin, directeur de la revue, pose d’emblée ce qui coince : « Paris est déjà une métropole, elle est perçue comme cela et elle vit de facto sur ce mode alors que les représentations et les institutions ne sont guère mobiles. »
Millefeuille. Pourtant, ces deux dernières années, les suggestions de « pôles », « projets », « polycentralité » n’ont pas manqué. Autant de schémas qui semblent ranger le désordre mais ne règlent en rien la question du « millefeuille institutionnel », cet empilement de plus de 1 000 communes, huit départements et une région pour 11 millions d’habitants. Sans compter les intercommunalités formées par affinités (les riches entre eux, les pauvres aussi, faute de mieux).

Qui gouverne là-dedans ? Tout le monde et personne. C’est « rocambolesque », estime Mongin. « Le Grand Paris, selon l’échelle choisie, c’est de toute façon une municipalité parisienne dont le poids historique est indéniable, des communes, des intercommunalités, mais aussi des départements et une région… et un Etat sur le qui-vive. Comment l’imbroglio institutionnel va-t-il permettre de transformer l’essai métropolitain ? » interroge-t-il.

Il est temps de faire de la politique et le grand mérite du dossier d’Esprit est de donner la parole à des auteurs qui affrontent l’exercice. Guy Burgel, professeur à Paris-X, veut la création d’une vraie gouvernance de l’agglomération. Les occasions ne sont pas si nombreuses : trois en cent cinquante ans, sous Napoléon III, de Gaulle, et aujourd’hui. « L’histoire ne repassera pas de sitôt les plats », prévient-il.

L’urbaniste Jean-Michel Roux, réclame de son côté une extension de Paris pour « unifier toute la zone centrale historique de l’agglomération, en gros les quatre départements voisins de Paris et la première couronne ». A ceux que cette perspective ferait hurler, Roux rappelle que « cela ne ferait jamais que la moitié de la superficie londonienne ou new-yorkaise, à population comparable ». La réforme ne serait même pas difficile techniquement : « La maquette institutionnelle existe, c’est précisément celle de Paris : une mairie centrale et des mairies d’arrondissements qui remplacent les anciennes communes. » A cela, l’urbaniste ajoute une « autorité coordinatrice » pour les grandes planifications régionales. »Le mieux étant l’ennemi du bien, la région Ile-de-France peut faire office de » , écrit-il.

Cohérence. L’extension de Paris permettrait au passage ce changement à la fois mineur et essentiel : la création d’une adresse postale « Paris » pour toute la zone agglomérée. Les entreprises de La Défense, qui sont sur les communes de Puteaux et de Courbevoie, ont bien été domiciliées à Paris-La Défense pour des raisons d’attractivité internationale. Le raisonnement vaut pour le citoyen de base, pose Jean-Michel Roux : « Un banlieusard vaut un Parisien et même : un banlieusard est un Parisien, qualité ou défaut qui lui est reconnu partout ailleurs que chez lui. Il ne s’agit pas seulement de morale mais de développement et de politique cohérente d’agglomération. » En étendant les surfaces symboliquement estampillées Paris, on desserrerait toute une série de mécanismes spéculatifs. Et l’on peut habiter à Paris-Saint-Denis comme à Paris XXe.

Régals. L’urbaniste Philippe Panerai demande lui aussi ce changement. Son ouvrage, Paris métropole, est longuement cité et chroniqué dans ce numéro d’Esprit, mais cela vaut la peine de se référer à l’original. Les « formes et échelles du Grand Paris » – sous-titre du livre – sont montrées en tracés, en schémas, photos, cartes postales, documents historiques, qui sont autant de régals. C’est une géographie pédagogique et lisible de l’agglomération.

Panerai nous fait regarder le relief de la région parisienne que nous ne voyons jamais, attire l’œil sur les vues, fait des rapprochements inattendus. Il livre aussi d’étonnantes explications comme ce constat que « l’A86 est l’héritière de la route voulue par Louis XV pour se rendre aisément du château de Versailles au château de madame de Pompadour à Choisy-le-Roi ». Avec Panerai, le Grand Paris devient un plaisir. Vu le point de départ, chapeau.

Sibylle Vincendon

 

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