Grand Paris – Le pari de Sarkozy

© Le Point, 2008

Depuis que Nicolas Sarkozy a lancé, fin 2007, l’idée d’un « diagnostic prospectif, urbanistique et paysager sur le Grand Paris à l’horizon de vingt, trente, voire quarante ans », dix cabinets d’architectes internationaux, parmi les plus prestigieux, phosphorent sur les projets les plus fous.

«J’espère qu’on va se marrer », leur avait lancé le président de la République, le 4 juin, lors d’une réception à l’Elysée. « Ne vous inquiétez pas », lui a répliqué l’un d’eux. La mégalomanie étant rarement leur point faible, les architectes, entourés, entre autres, d’écrivains, de philosophes, de géographes et de sociologues, entendent s’en donner à coeur joie. Au moins sur le papier. C’est ainsi que les grandes gares-du Nord, de l’Est, Montparnasse, Austerlitz, Saint-Lazare-pourraient se voir repousser au-delà de ce qui constitue le Paris du baron Haussmann avec ses vingt arrondissements recroquevillés en forme d’escargot. Une façon originale de « décongestionner » le centre de la capitale et ses flux de population. Selon ce schéma, les ministères se verraient, quant à eux, repousser aux confins de la grande couronne, à La Courneuve, Bondy, Nogent-sur-Marne ou ailleurs. Convaincre les fonctionnaires et les ministres qui les occupent ne sera pas une mince affaire lorsqu’on se souvient de la difficulté à faire déménager le ministère de l’Economie et des Finances du Louvre, rue de Rivoli, à Bercy, à l’époque où Edouard Balladur en était le locataire. In fine, c’est aux politiques qu’il reviendra de trancher et surtout de trouver les financements nécessaires. Ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement et de l’Aménagement durables, Jean-Louis Borloo, qui s’intéresse de très près à ce grand chantier susceptible de s’étaler sur une cinquantaine d’années-au moins -, en évaluerait le coût à 100 milliards d’euros.

Que ressortira-t-il de ce grand remue-méninges imposé aux architectes ? Réponse le 9 février 2009, date de la remise des copies par chacun des cabinets, sous forme de deux livres de 150 pages, de six panneaux d’illustrations et surtout de deux maquettes de 2 x 3 mètres, du Paris du futur et de sa grande couronne tel qu’ils l’imaginent. Le grand public pourra prendre connaissance de ces visions capitales de l’avenir, à la faveur d’une exposition organisée dès avril 2009 à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Tous les paramètres-sociologiques, écologiques, urbanistiques, commerciaux et bien sûr les transports-doivent être pris en compte.

Concertation

Ceux qui pensaient qu’un nouveau Paris serait façonné à brève échéance devront se raviser. « Nous sommes dans une phase de consultation, pas de concours », insiste-t-on au ministère de la Culture. Une fois présentés les projets maquettés, une deuxième phase de concertation sera engagée. Un comité de pilotage, composé de 14 représentants du gouvernement, mais aussi de la Ville de Paris, de la région Ile-de-France et de l’Association des maires de l’Ile-de-France, veille au déroulement des opérations, car c’est un territoire de 12 072 kilomètres carrés, le plus peuplé de France avec ses 1 281 communes, et dont 80 % sont couverts de terres agricoles et de forêts, qui est concerné.

Les premiers échanges entre architectes font ressortir « un certain nombre de points de convergence », selon Guillaume Sainteny, directeur des études économiques et de l’évaluation environnementale chez Borloo, et membre du conseil de pilotage. D’abord pour préserver l’espace naturel. « Un point clé de nos propositions, assure le cabinet britannique de Richard Rogers, coconcepteur du centre Beaubourg et architecte de la tour londonienne de l’assureur Lloyd’s, dans la City. Il faut garder la valeur culturelle existante et faire en sorte qu’il n’y ait pas une croissance sans limites de la métropole. »

D’Henri IV à… Jean Jaurès.

Jadis animateur de la mission Banlieues 89, destinée à améliorer le cadre de vie dans les cités, et tête chercheuse particulièrement féconde, Roland Castro plaide pour un Grand Paris inspiré-dans l’ordre-de Louis XIV « pour la munificence », d’Henri IV « pour la poule au pot urbaine » , car c’était un roi proche du peuple, de Jacques Lacan « pour le noeud borroméen » composé de trois cercles représentant le symbolique, l’imaginaire et le réel, de Jean Jaurès « pour la tradition des cités-jardins » , enfin, de Clément XII « pour son sens de l’intérêt public ». « C’est lui qui a offert la fontaine de Trévise, magnifique, au quartier le plus moche de Rome », conclut Roland Castro.

Afin de ne pas gâcher la fête, la question de la « gouvernance » et de savoir qui, entre la ville, le département et la région, doit à l’avenir diriger quoi, a été reportée aux calendes grecques. La perspective de perdre un peu de leur pouvoir rend les élus particulièrement chatouilleux. Place au consensus. Le Paris du futur s’inscrira donc d’abord dans le béton, la rénovation, l’aménagement de terrasses et de jardins et, inévitablement, la construction de tours.

 

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