L’épreuve de force

Bertrand Greco. © Le Journal du Dimanche tout droit réservés

Le bras de fer n’a jamais été aussi intense entre l’Etat et la région Ile-de-France. Objet du litige: l’adoption prochaine du nouveau schéma directeur (Sdrif), qui définit les orientations économiques et urbanistiques de l’Ile-de-France d’ici à 2030. Malgré son sigle rebutant, ce document « concerne très concrètement la vie quotidienne des gens », précise Jean-Paul Huchon, président PS du conseil régional, puisqu’il touche aux transports, au logement, à l’aménagement du territoire, à l’attractivité des entreprises, à l’emploi, etc.

Destiné à remplacer l’actuel schéma directeur datant de 1994, ce Sdrif aura en outre un caractère contraignant: les communes, collectivités territoriales ou entreprises publiques devront s’y conformer. L’élaboration de ce texte crucial pour l’avenir de la région a commencé en juillet 2004. Selon toute vraisemblance, sa version définitive sera adoptée le 26 septembre par le conseil régional. Sans pour autant mettre un terme à l’épreuve de force.
Car, entre-temps, la question du Grand Paris, portée par Nicolas Sarkozy, a resurgi dans le débat. Le président de la république a souhaité la création d’un secrétariat d’Etat chargé du « développement de la région capitale ». Un portefeuille confié à Christian Blanc. Du coup, le Grand Paris et le Sdrif se retrouvent en rivalité. Etat contre Région. Droite contre gauche. En jeu: la mainmise sur les grands projets et l’avenir de l’agglomération parisienne. Le tout sur fond de primaires pour désigner le chef de file de l’UMP aux élections régionales de 2010. Roger Karoutchi, candidat actif et président du groupe UMP à la région, réclame un report du vote, afin d’attendre les premières propositions de Christian Blanc sur le Grand Paris, annoncées pour fin 2008-début 2009. « Ce serait une lourde erreur de vouloir passer en force », dit-il. Le Premier ministre a même écrit à Huchon, en juin, pour lui signifier le manque d’ambition de son schéma directeur. Le gouvernement Fillon menace donc de bloquer le dossier. Il en a les moyens, puisqu’il lui incombe de transmettre le texte au Conseil d’Etat, puis de l’approuver par décret.

« Le gouvernement ne peut pas se permettre de paralyser la région »

De son côté, Jean-Paul Huchon veut en finir au plus vite. « Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage, bougonne-t-il. Le gouvernement ne peut pas se permettre de paralyser la région en gelant un document aussi important pour de misérables raisons politiciennes. D’autant que l’adoption du Sdrif n’empêchera aucun futur projet de Christian Blanc. » Le socialiste souligne que plusieurs « sujets de friction avec l’Etat » ont été supprimés. « On a levé nos réserves sur le développement de la Défense ou de Roissy. On accepte le projet de liaison CDG Express [avec un arrêt à Plaine-de-France], et même des projets d’autoroute, comme le bouclage de la Francilienne. » En matière de transports, priorité est donnée à la rocade ferroviaire Arc Express (aussi appelée Métrophérique), ce qui contente tout le monde. Sont également inscrits dans le texte : le dédoublement de la ligne 13, le prolongement d’Eole à l’Ouest (pour délester le RER A) et de neuf lignes de métro, ou encore l’achèvement du tramway des Maréchaux.

Le Sdrif prévoit aussi la construction de 60.000 logements par an, en renforçant la « densité ». Sus aux pavillons ! « Maisons de ville » et « petits immeubles collectifs avec jardin » devront, autant que possible, sortir de terre dans le tissu urbain existant, bien desservis par les transports en commun. Autre concession faite au gouvernement : les 30% de logements sociaux en Ile-de-France à l’horizon 2030 ne sont plus une « obligation » mais un « objectif » à atteindre. Quant au volet « développement économique », l’ambition est chiffrée à 700 000 créations d’emploi d’ici à 2030, soit 28 000 par an. Ces projections se fondent sur une hypothèse de croissance démographique de 1,2 million d’habitants supplémentaires (12,6 millions dans vingt-deux ans) et de croissance économique de 2% par an.

C’est là que le bât blesse pour Christian Blanc et Roger Karoutchi. « Nous sommes désespérément en désaccord sur la politique économique, plaide le second. Pourquoi seulement 2%? Le Grand Londres affiche une croissance moyenne de 5 %, Barcelone de 6%. Pourquoi ne pas être plus ambitieux ? » En face, Huchon ironise: « Si Karoutchi a une martingale pour passer de 2% à 4%, qu’il le dise au Premier ministre qui peine à atteindre 1% pour la croissance nationale. Il fait de la surenchère parce qu’il s’imagine qu’il doit être un opposant virulent pour s’imposer dans sa campagne interne. Mais, comme disait Michel Rocard : ‘On ne fait pas pousser de l’herbe en tirant dessus.' »

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