Grand Paris, la discorde Huchon-Delanoë
Bertrand Greco. © Le Journal du Dimanche tout droit réservés
Avec la nomination d’un Secrétaire d’Etat au développement de la région capitale, en la personne de Christian Blanc, Nicolas Sarkozy a porté sur les fonts baptismaux son projet de Grand Paris. Projet qui divise parmi les leaders socialistes franciliens. A commencer par la guerre à distance que se livrent déjà Jean-Paul Huchon, président de la région et le maire de la capitale, Bertrand Delanoë.
Mystère, grosses colères et suspicions autour de la nomination de Christian Blanc (Nouveau Centre) au gouvernement. Chargé de lancer le chantier du Grand Paris – « le plus ambitieux depuis Haussmann », dixit le président Sarkozy -, le nouveau Secrétaire d’Etat au développement de la région capitale garde pour l’instant le silence. Le sujet est sensible. Personne ne connaît les intentions de l’ancien PDG d’Air France et directeur de la RATP, député des Yvelines et préfet de Seine-et-Marne. « Le président de la République lui laisse les coudées franches, indique Roger Karoutchi (UMP), candidat déclaré aux régionales de 2010 (*). Je l’ai rencontré longuement, il n’a aucune idée préconçue sur le Grand Paris. Il compte d’abord définir, avec les élus locaux, les champs de compétence de cette future instance: transport (métrophérique), logement, urbanisme, grands gestes architecturaux, attractivité économique, création d’un vaste pôle d’affaires à l’Est (sur le modèle de la Défense) ou de grands campus universitaires… Ensuite, il verra quelle structure lui donner, via une loi, en 2009. Je suis confiant, il a la négociation dans le sang. »
Cette semaine, Christian Blanc doit rencontrer Bertrand Delanoë et Jean-Paul Huchon, deux socialistes qui ne sont pas du tout sur la même longueur d’onde sur le sujet. Le maire de Paris veut « en finir avec cette capitale enfermée dans ses frontières ». Il « souhaite travailler avec l’Etat », « rapidement », car « le temps est venu, dit-il, de créer ‘Paris métropole’, véritable institution de l’agglomération où s’exprimera, à cette échelle, la solidarité, y compris fiscale ».
Huchon ne décolère pas
Le président de la région Ile-de-France, pour sa part, ne décolère pas. Ex-rocardien – comme Blanc -, il se dit « très choqué » par cette « mise sous tutelle ministérielle », ce « jacobinisme caricatural », cette « déclaration de guerre ». A l’instar de l’Association des régions de France (ARF), Huchon dénonce un « mauvais coup porté à la décentralisation »: « Pour la première fois dans l’histoire de France, un ministre se voit confier une compétence territoriale (excepté pour l’outre-mer). C’est grave! » Il est soutenu par les Verts franciliens, qui pointent une « provocation », un « scandale démocratique », une « reprise en main des affaires régionales ». Les communistes, eux, s’insurgent contre un « déni de démocratie » et une « stratégie de passage en force ».
Pierre Mansat, l’adjoint PCF de Delanoë en charge de « Paris métropole », ne voit pas ce qu’il y a de choquant. « Nous sommes disponibles pour travailler avec Christian Blanc. L’Etat se penche enfin sur la question de gouvernance du coeur de l’agglomération, c’est une bonne nouvelle. Paris est entravé par sa petite taille. Comme toutes les métropoles du monde, il nous faut inventer une institution spécifique, à la bonne échelle, pour être plus efficace, plus solidaire, pour répondre aux énormes enjeux de transport ou remédier aux inégalités régionales flagrantes. La région a tout à gagner à être maître d’oeuvre de ce mouvement irrépressible. Chacun doit accepter de partager ses compétences pour mettre fin au morcellement du pouvoir, au quant-à-soi politique. » A droite, le sénateur UMP de Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier, qui prône la suppression des quatre départements centraux (75,92, 93 et 94), ne dit pas autre chose: « Le pouvoir est complètement émietté, il y a trop de pilotes dans l’avion. Le système actuel est illisible et inopérant en matière de logement, de transport, de développement économique ou de ségrégation territoriale est-ouest. Nous devons mettre dans le pot commun les problèmes et les richesses, sans rajouter une couche au mille-feuille. Et rien ne peut se faire sans l’Etat. Jean-Paul Huchon crie avant d’avoir mal, il se prend pour M. No, opposé à tout changement a priori. »
Régionales en vue
Mais le patron du conseil régional n’en démord pas. « Quelle est l’utilité pour les Franciliens? Je n’ai pas vu de manifestations dans la rue pour réclamer un Grand Paris! » Sur le plan économique, « l’Ile-de-France est la première région d’Europe », dit-il. Le syndicat des transports (Stif), qu’il préside, joue parfaitement son rôle: « Quand les gens verront rouler les trains du futur, en 2009, ils sauront qu’on n’a pas besoin de bouleverser les institutions. » Tout juste consent-il à admettre qu' »il faudrait une meilleure coopération sur le logement »; il propose donc la création d’un « Slif », un syndicat du logement d’Ile-de-France, sur le modèle du Stif, qui veillerait à la cohérence des plans locaux d’urbanisme et à l’application de la loi SRU (20% de logements sociaux). Et Huchon de citer… André Santini (Nouveau Centre, comme Christian Blanc); le secrétaire d’Etat à la Fonction publique, également président des eaux d’Ile-de-France, a signé une tribune dans Les Echos, mercredi, dans laquelle il s’érigeait lui aussi en défenseur du système actuel.
Derrière ces considérations, se cachent bien souvent des motivations politiciennes. « Je ne suis pas le dernier des naïfs, je vois bien que la campagne des régionales a commencé, accuse Jean-Paul Huchon. Tout cela relève de la malveillance politique. Le but du gouvernement est de déstabiliser la région (de gauche) et d’installer un pouvoir concurrent (de droite). Ce sont de grosses ficelles. » Même son de cloche pour Julien Dray (ségoléniste), vice-président du conseil régional: « Le Grand Paris, c’est la région Ile-de-France! Sarkozy est obsédé par cette question uniquement pour des raisons électoralistes: les régionales arriveront dans la dernière ligne droite du quinquennat (en 2010). Il s’agit de préparer la présidentielle de 2012, en créant des tensions dans la région. La nomination de Christian Blanc, un homme de confrontation, est plus que suspecte. Sa mission consiste à nous placer en porte-à-faux vis-à-vis de Paris, de mettre un coin entre Huchon et Delanoë, en faisant miroiter des ressources fiscales et un poste de super-maire du Grand Paris. Heureusement, Delanoë est assez intelligent pour ne pas se laisser piéger par cette manoeuvre. » Toutefois, d’autres suspectent une « alliance objective » entre Delanoë et Sarkozy, basée sur une « convergence d’intérêts ». Le premier, en s’accaparant ce « gros machin de 8 millions d’habitants », deviendrait « le type le plus puissant du PS, incontournable, le seul capable d’affronter Sarkozy en 2012 ». Le Président, lui, choisirait son futur adversaire pour la prochaine bataille présidentielle. On est loin du Grand Paris.