Le big bang du bling-bling

Gurvan Le Guelec,in Le Nouvel Observateur,2008 ©Paris Obs

Soucieux d’imprimer sa marque au Grand Paris, Sarkozy va vite. Ni ses opposants ni ses fidèles ne parviennent à le suivre. Empressement ou volonté de faire bouger les lignes ?

Vieilles gloires et jeunes loups. Vedettes françaises et stars internationales. Convaincus de la dernière heure et sceptiques de toujours. Dans quelques jours, mi-février probablement, on connaîtra la liste des équipes choisies par le ministère de la Culture pour relever «le grand pari de l’agglomération parisienne». La compétition est rude, le petit monde de l’architecture bruisse de folles rumeurs. Pour imaginer le Grand Paris de 2040, Nicolas Sarkozy pourrait faire appel à Nouvel, Koolhaas, Portzamparc. «Des génies» – surtout Jean Nouvel, sommité de l’architecture française auquel il ne cesse de tresser des lauriers.
Depuis son discours fondateur de Roissy en juin dernier, Nicolas Sarkozy, on le sait, rêve du Grand Paris. Il veut en faire un «laboratoire de la modernité humaine» qui soit «l’occasion de remettre la France au premier rang en matière d’urbanisme et d’architecture». Pour donner corps à cette vision, il ne s’appuie pas sur les élus et les techniciens. Mais sur les stars. L’opération lancée par le gouvernement, bien que présentée comme une «consultation de recherche et développement» sera ainsi menée par 10 grands architectes, les scientifiques n’intervenant qu’en soutien. Lesdits architectes seront chargés d’un très théorique «diagnostic prospectif» sur «la métropole de l’après-Kyoto», mais devront également formaliser leurs propositions. «Une gageure, reconnaît-on au ministère, mais nous tenons à cet aspect. Sans demander des dessins de bâtiments, on peut proposer des outils de compréhension – plans-reliefs, vidéosà la fois pertinents et attractifs pour le grand public.»

Qui mènera à bien ces projets, si un jour les «propositions d’implantation de nouveaux quartiers» donnent lieu à des concrétisations architecturales ? Un «ministre du Grand Paris», nommé au lendemain des municipales, comme cela se murmure de plus en plus ? Difficile à dire. Le Grand Paris, version Sarko, n’est guère loquace sur le volet institutions. Pour Sarkozy, le Grand Paris se décline avant tout en un ensemble de qualificatifs : «beau», «rayonnant», «attractif», plus «ambitieux» qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est le Grand Paris business, fidèle décalque de la Défense. Construire plus (et mieux) pour travailler plus et gagner plus au bout du compte.

L’approche urbaine exclut-elle pour autant la problématique de la gouvernance et de la solidarité financière entre communes riches et pauvres de l’agglomération ? Ces derniers jours, les oracles de la pensée sarkozyenne n’ont cessé de se manifester… sans apporter pour autant une clarification au débat. Plutôt en cour à l’Elysée, Roger Karoutchi s’est emparé du sujet depuis septembre dernier. Bonne âme, il fait cause commune avec Françoise de Panafieu. C’est donc depuis le local de campagne de cette dernière que le patron de l’UMP de la Région a exposé son programme pour le Grand Paris. Campé dans son sofa au côté d’une Panaf à demi-muette mais opinant régulièrement du chef, M . Karoutchi s’est montré très lyrique. Se laissant même emporter par son élan, au point d’annoncer la construction de 10 «grands gestes paquebots» – des musées, des tours, des jardins de sculptures – en assimilant allègrement la consultation du ministère de la Culture à un «concours d’architecture». Pour porter ces projets, notre homme a son idée qu’il considère partagée par tout l’UMP : un «syndicat mixte ouvert» auquel chaque collectivité serait libre d’adhérer. Bref, une structure sans grande consistance laissant toute la place à l’Etat et au privé.

«Absurde», n’a pas tardé à réagir Yves Jego, ami du Président mais néanmoins rival de M. Karoutchi. Le maire de Montereau (77), qui conteste le leadership régional du ministre des Relations avec le Parlement, propose, lui, d’instituer de manière autoritaire une intercommunalité «noyau dur» : Paris et ses 29 communes limitrophes. D’ailleurs «Karoutchi ne peut pas dire qu’il parle pour l’UMP. Demandez à Devedjian, il pense comme moi».
Contacté, le secrétaire général du parti majoritaire rappelle qu’il est en effet le seul habilité à engager son mouvement, et que la position officielle du parti sera fixée après les municipales, lors d’une convention nationale. Personnellement, le nouveau patron des Hauts-de-Seine se positionne pour une communauté urbaine, soit un système contraignant et à compétences multiples, à mille lieues de ce que proposent Mme de Panafieu et M. Karoutchi.

Que penser de cette parfaite cacophonie ? Qu’en multipliant les déclarations, Sarko est peut-être en train de réussir son coup. Contraignant les élus de son bord à se saisir de la question. Et obligeant les élus du centre et de gauche à clarifier leurs positions. Car, chez les participants de la Conférence métropolitaine lancée par Bertrand Delanoë, le Grand Paris est loin de faire l’unanimité. De Jean-Paul Huchon, le président de Région à Claude Bartolone, prétendant au trône départemental dans le 93, ils sont nombreux à freiner des quatre fers pour éviter la constitution d’une «structure décisionnelle autonome au coeur de l’agglomération», selon l’expression du patron de l’Ile-de-France. La perspective d’un comité interministériel qui pourrait statuer dès l’automne sur la nature de la future collectivité en imposant sa loi aux élus, a néanmoins contribué à désarmer les récalcitrants.

Reste à voir si ces deux visions sauront se rejoindre. Si tout le monde ne partage pas la fascination BTPière de Sarkozy, beaucoup à gauche ne se satisfont pas non plus de la situation actuelle : un schéma directeur d’Ile-de-France qui, certes, cherche à rééquilibrer le développement de la région, mais pèche par son manque de priorités; un plan local d’urbanisme parisien contraint d’en rester à 37 mètres, sous la pression des élus Verts et des Parisiens. Bertrand Delanoë serait-il si malheureux de s’appuyer sur un électorat plus vaste, lui qui rêve de construire en hauteur le long du périphérique ? Des compromis utiles peuvent être trouvés. C’est l’hypothèse la plus favorable. L’autre, celle de l’enlisement, ne satisferait personne. Mais elle ne peut être écartée.

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