La bataille du Grand Paris
- Gurvan Le Guelec, in Le Nouvel Observateur, 2008, © Nouvel Obs
Vélib’, métro, logement… Paris et ses voisines doivent s’unir pour sortir de l’impasse. Il faut dessiner la métropole du futur. Reste à savoir comment.
Cela ressemble à un orchestre symphonique. Mais qui sans s’en apercevoir jouerait sa partition… en sourdine. Depuis six mois, le Grand Paris agite les esprits. Le président de la République explique qu’il souhaite «faire le Grand Paris». Le maire de Paris lui rend la pareille en annonçant tissa des «assises de Paris Métropole». Le premier finit par assurer au second que le «Grand Paris ne se fera pas sans [lui]». En conséquence de quoi, Françoise de Panafieu, la rivale de Delanoë, vexée d’être snobée par Sarkozy, convoque la presse pour livrer sa propre interprétation du sujet. Bref, tout semblait en place pour que le sujet s’érige en enjeu majeur des municipales. Eh bien non, pas du tout. Des associations atones. Un ou deux blogs d’aficionados sur le Net. Rien de plus. La question glisse avec élégance au-dessus des consciences citoyennes. Les élus de base l’ont bien compris, qui réfrènent les ambitions de leurs cadors. Au MoDem parisien, Géraldine Martiano, candidate dans le 10e, s’est fait sa religion sur la question : «Je le dis à Mariette, le Grand Paris, cane prend pas, les gens n’y comprennent rien, ils veulent de la proximité.» Même perplexité dans les rues de Sceaux, dont le maire, Philippe Laurent (divers droite), est pourtant un grand-parisophile convaincu. «Le sujet me fait penser à l’Europe. C’est technique et politique à la fois. A moins d’être dans le bouillon, l’électeur ne comprend pas un traître mot à ce que nous racontons.»
Le grand public se défie du Grand Paris. La belle affaire. Il va pourtant falloir qu’il s’y mette. Car, si les Franciliens ne font pas le Grand Paris, le Grand Paris risque de se faire sans eux. Le processus d’ailleurs est déjà enclenché. Ceux qui en douteraient jetteront un oeil au programme de Bertrand Delanoë. Stade nautique à Aubervilliers, prolongement de la ligne 14 enbanlieue nord-ouest, mise en place du Métrophérique, ce métro de banlieue à banlieue encore à l’état de projet… Le maire de Paris ne se préoccupe plus seulement de ses administrés. Il regarde au-delà du périphérique, considérant que «Paris est plus grand que Paris». Charité ? Mégalomanie ? Non, intérêt bien compris.
Que ce soit dans deux ou dix ans, le Grand Paris se fera. Et il se fera parce que le petit Paris, lui, ne fonctionne plus.
Qu’il s’agisse de logement, de développement économique, d’urbanisme ou de transports, les praticiens de la Ville sont unanimes (lire pages 16 et 17). Deux exemples particulièrement frappants. Le Vélib’, d’abord. Le maire de Paris a voulu offrir le dispositif Decaux aux communes limitrophes. Raté : le tribunal administratif a annulé l’opération. Certaines communes ont donc lancé leur propre appel d’offres, sans garantie d’obtenir un système compatible. Ainsi, à Boulogne, les cyclistes voulant se rendre dans le 16e pourraient être obligés de descendre de selle aux abords de la porte de Saint-Cloud et continuer a pied jusqu’à la première station parisienne. Ubuesque.
Plus grave et moins anecdotique : l’engorgement des lignes de métro. Les usagers passent leurs nerfs sur la RATR La RATP a bon dos. Le problème est plus profond : sous-équipement dramatique au-delà du périf, et surtout inversion des priorités. Alors que la petite couronne attend son métro de rocade depuis plus de quinze ans, Paris s’est offert un très beau tram financé à 70% par ses partenaires (Etat, Région, RATP) pour remplacer ses bus PC. La raison du pourquoi ? La capitale est pilotée par un seul maire, capable de prendre rapidement des décisions et d’aller à la pêche aux financements. Là où la périphérie est composée d’une multitude de baronnies. Avec leurs règlements d’urbanisme divergents. Et leur absence de représentation commune.
Insouciants, alors, les Grands-Parisiens ? Oui et non. La perplexité du public a ses explications. Le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis six mois, le débat est peu intelligible. Non seulement les propositions se multiplient et s’entrechoquent, chacun ayant son avis sur le périmètre et les compétences de la future collectivité (lire pages 14 et 15). Mais il n’est même pas certain que les partisans du maire de Paris et du président de la République soient totalement raccord sur le sens de l’opération. Outre la bataille électorale se tramant en sous-main – de quel côté va basculer le futur Grand Paris ? – ce sont aussi deux visions qui s’opposent. Du côté du maire de Paris et de la quarantaine d’élus réunis en Conférence métropolitaine depuis un an et demi, la démarche, lente et consensuelle, se centre sur l’analyse des dysfonctionnements et ne préjuge en rien de la vision que défendra la future collectivité. Seul constat commun : la nécessité de réduire la fracture territoriale (est-ouest, intra-muros – petite couronne) et de partager tout ou partie des ressources. De l’autre côté, les choses vont vite mais sont plus floues. Depuis son arrivée à l’Elysée, l’ancien patron des Hauts-de-Seine a très peu parlé d’institutions, encore moins de rééquilibrage, et surtout brodé sur sa vision bling-bling du Grand Paris. Grand non seulement par son périmètre, mais surtout par ses ambitions urbaines et architecturales. Tout cela est-il conciliable ? C’est l’enjeu du débat.