Roland Castro: »Grand Paris, c’est un projet pour l’égalité urbaine »
Laura Matesco, ©L’Internaute Magazine
Roland Castro veut créer un « Grand Paris ». Objectifs : déménager les lieux de pouvoir en banlieue et créer de nouveaux centres dans la ville. Il a répondu à vos questions jeudi 8 juin en direct sur L’Internaute.
Vous êtes candidat à la présidentielle. Combien de signatures avez-vous déjà recueilli ?
Roland Castro : 130. Je constate avec horreur que dans ce pays, pour parler directement au peuple, il faut faire l’élection la plus antidémocratique de l’Histoire de France, la sénatoriale. Pour mémoire, sous De Gaulle, il fallait seulement 100 signatures. Par ailleurs, je précise dans ma lettre aux maires, qu’en cas de risque type « 21 avril », je me retirerais 3 jours avant.
L’élection sénatoriale est une élection non directe, qui passe par un collège de notables et donc l’opinion publique y est plus filtrée et plus atténuée et d’ailleurs plus rurale qu’urbaine. C’est excessif.
« Vive la Révolution », le mouvement que vous avez créé en 68, c’est du passé ?
Non, c’est un mouvement qui a été attentif à l’air du temps du gauchisme, il a été à l’origine du mouvement de libération des femmes et du front homosexuel d’Action révolutionnaire. J’ai plutôt l’impression d’être dans la continuité, mais il y a une bêtise que je ne dis plus : « élection piège à con ».
Pouvez-vous m’expliquer ce que vous entendez par « utopie concrète »?
Utopie concrète, ça veut dire rêve qui se réalise. Exemple d’une utopie concrète : payer les gens à ne rien faire. En 1936, avec les congés payés, cette utopie est devenue concrète. L’abolition de la peine de mort, c’est une utopie de Victor Hugo qui est devenue concrète avec Badinter. L’utopie concrète, c’est la vérité de demain rendue possible. Les choses ont avancé à force d’utopies devenues concrètes. L’utopie est la vérité de demain.
En quoi consiste votre projet de Grand Paris ?
Passer de Galilée à Copernic. Je m’explique : dans l’espace métropolitain, la centralité est concentrée dans le Paris historique. L’idée du Grand Paris est de créer une centralité périphérique autour de Paris, aux environs de l’A86 et de la ligne des Forts autour de Paris, en y installant toutes les institutions de la République de façon à remplacer l’attractivité du centre par une attractivité dans la périphérie, et donc de créer à travers cette question institutionnelle, une égalité de traitement entre les quartiers de banlieue et les quartiers du centre. Cela contribuerait à combattre « l’apartheid urbain ». Il y a 14 forts autour de Paris, qui sont des « Montmartre potentiels ». Ils appartiennent aujourd’hui à l’Armée mais n’ont évidemment plus aucun enjeu stratégique, et ce sont des friches urbaines très belles. Quand je dis « Montmartre potentiel », c’est qu’il y a tous les ingrédients pour y trouver des éléments poétiques.
Enfin pour compléter le Grand Paris, il est possible de faire tourner le grand Tram qui existe déjà entre St Denis et Bobigny, La Défense et St Cloud. Ce grand Tram mettrait en réseau 40 communes de banlieue donc 40 théâtres, 40 maisons de la Culture. Cela changerait le fait que chaque ville de banlieue vit essentiellement dans un rapport à Paris, et ainsi s’installerait un rapport de banlieue à banlieue. Une des causes de l’apartheid urbain, c’est l’enclavement. Pour résumer, c’est un projet qui a l’ambition de supprimer les aspects négatifs de la banlieue, c’est un projet pour l’égalité urbaine.
Pourquoi ne pas déménager les lieux de pouvoir en province ?
Le déménagement de l’ENA à Strasbourg a fait co-exister deux institutions au lieu d’une. À partir du règne de Louis XI, le pouvoir est légitimement dans la capitale. Dans ce projet, il est au milieu du peuple. Par contre, il y a des institutions que l’on peut déconcentrer en province avec la même légitimité. Ce que je propose dans le grand Paris est valable dans n’importe quelle ville de province, par exemple il est tout à fait pertinent à Soisson que la médiathèque soit construite dans le quartier le plus populaire plutôt qu’à côté de la cathédrale. La question que vous posez souligne celle de l’aménagement du territoire. Souvent certaines décisions de délocalisation sont prises de manière clientéliste ou politicienne. Il serait judicieux que le grand Paris, les grandes décisions de l’aménagement du territoire soient prises devant les citoyens et pas simplement par des experts frileux, attachés à leurs beaux quartiers. J’ajoute que je propose que les ministères soient en banlieue et que l’ENA soit dissoute, et j’ajoute que lors d’une grande fête, on donne le droit de vote aux étrangers aux élections locales.
Vous voulez dissoudre l’ENA. Selon vous, qui d’autre peut former les hauts fonctionnaires ?
Une école du service public qui proposerait plus de philosophie, plus d’histoire, plus de littérature, moins de technique, moins de comptabilité publique, et surtout qui enlèverait les deux défauts dramatiques de l’Etat : les aller-retour des fonctionnaires entre privé et public et le classement interne à l’école qui fait de chaque futur haut fonctionnaire l’ennemi de tous les autres.
Economiquement, que donnerait le Grand Paris? Quelle différence cela fait-il avec la région ?
Il faudrait créer une institution fédérale de 80 communes et 20 arrondissements avec d’énormes pouvoirs dans chaque commune et arrondissement, mis à part ceux qui sont dans l’intérêt général (circulation entre communes, tram, décision d’implantation de ministères) qui dépendraient d’un pouvoir fédéral. Actuellement, on n’ose pas parler du Grand Paris de peur de bousculer des habitudes et des fiefs, mais si la pertinence du projet l’emporte dans l’esprit public, il faut une institution fédérale qui taille dans les fiefs sans aliéner l’essentiel des compétences des maires.
Pensez-vous que le gens accepteraient de quitter Paris ?
Le Quai d’Orsay à la Courneuve, c’est à Paris. Le Grand Paris dont je parle c’est 25 km de diamètre au lieu de 10km aujourd’hui et dans ce territoire, on a tout ce qui nous fait aimer la grande ville.
Avez-vous déjà présenté votre projet devant les fonctionnaires ? Quelles ont été leurs réactions ?
Quitte à perdre beaucoup d’électeurs, je pense qu’il faut soumettre ce projet aux citoyens quels qu’ils soient en premier et en dernier aux énarques qui seront bien obligés d’obéir pour une fois. Mais comme Pierre Bourdieu, je ne confonds pas la noblesse d’Etat avec les valeureux de la fonction publique, qu’il appelait la main gauche de l’Etat.
Ca fait plus de 20 ans que l’on sait qu’il faut changer l’urbanisme des banlieues. Pourquoi rien ne change ?
Parce que dans ce pays, on traite beaucoup plus mal les Noirs et les Arabes que les autres, parce que à part ceux qui y habitent, les autres n’apprennent l’existence de ces quartiers qu’à l’occasion des émeutes, parce que ce sont des quartiers populaires et parce que, et c’est le pire, on y vote moins qu’ailleurs. Résultat, la plus grave question de notre société n’est toujours pas traitée, à part une amorce urbaine sérieuse avec l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), qu’a lancé Borloo.
Vous soutenez Jean-Louis Borloo. Franchement, qu’est ce que vous lui trouvez à part un air sympathique ?
Je confirme, il est sympathique et il a réussi enfin à lancer un plan très ambitieux sur les banlieues dont les résultats urbains prendront du temps à apparaître. Je critique parfois un excès de démolition, j’ajoute que j’en ai marre de devoir penser qu’un type n’est pas bien parce que de droite.
Que pensez-vous de la politique de Bertrand Delanoë ?
Je pense que Delanoë, que j’aime bien, a une alliance très mauvaise avec les Verts qui font une politique anti-tours et anti-densité dont le seul résultat est de continuer l’exode populaire de Paris. Ce n’est pas parce que les Verts sont de gauche que je suis obligé de les trouver bien.
Vous avez contribué aux grands chantiers de François Mitterrand. Comment s’est déroulée votre collaboration ? Pourquoi ne pas être candidat à la mairie de Paris ou à la région IDF plutôt qu’à la Présidence de la République ?
Comme beaucoup de choses avec Mitterrand, dont le plus grave, concernant le droit de vote des étrangers aux élections locales, c’est que entre l’intention et la réalité, il y a eu une grosse différence. Beaucoup de temps a été perdu, raison de plus pour se décider à faire enfin des banlieues la grande cause nationale. Grand Paris est aussi une question nationale.
Avez-vous aussi une solution « choc » au chômage ?
Je suis persuadé que si la question de la fraternité et de l’école dans les quartiers les plus difficiles étaient vraiment prises au sérieux, si les citoyens les plus fragiles dont je parlais plus haut étaient mieux traités, si les conditions du vivre ensemble étaient étudiées, et si le bonheur d’habiter le pays était une idée partagée, le moral général serait meilleur y compris pour certains entrepreneurs. Chacun sait qu’il y a une énorme source de travail autour du service à l’autre, de la distraction de l’autre, du casse-croûte de l’autre. Donc je pense qu’il faut, comme nous le disons dans le projet, enlever toute bureaucratie et toute fiscalité à la création de PME pendant un an, quitte à passer pour une chèvre ! Une mesure comme le droit de vote aux élections locales fait aussi partie d’une bataille anti-chômage. Si je suis reconnu citoyen dans un pays que j’aime, j’ai plus envie de créer ma boite que si je suis traité comme un non citoyen de deuxième zone. De façon provocatrice, je pense que pour arriver au plein emploi, il faut arriver à la pleine solidarité, au plein respect. J’ajoute encore qu’il faut honorer les entrepreneurs et ringardiser les financiers. Il faut quand même empêcher que les patrons aient des primes pharaoniques calculées sur le nombre de licenciés de leur boite.