La question de la limite
La question de la limite
Jacques Lucan, architecte (décembre 2005).
Jacques Lucan est architecte, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et à l’Ecole d’architecture de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée. Il a mené de nombreux travaux concernant l’histoire urbaine de Paris, et récemment, à la demande de l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme), une étude sur le dynamisme et le renouvellement urbain : Outrepasser les limites.
Outrepasser les limites
Le logement, comme le patrimoine et la création architecturale, nécessite une réflexion dépassant les limites administratives entre Paris et ses voisins.
A Paris, il est évident que de nombreuses questions urbaines, notamment celles relatives au logement, ne se résoudront pas dans les limites intra-muros. La demande est telle en effet que l’offre ne pourra jamais suffire, quand bien même se mettrait-on à augmenter les densités construites, ce qui, bien sûr n’est pas dans l’air du temps… L’objectif global ne peut être que de maintenir le nombre d’habitants et de défendre la mixité sociale, objectif qui en lui-même ne va pas de soi, d’autant que les prix de l’immobilier font de plus en plus s’éloigner les classes moyennes…
Comment faire pour que le renouvellement urbain soit dynamique, c’est-à-dire pour qu’il corresponde à l’objectif de mixité sociale ?
Il faut échapper au Paris d’Amélie Poulain…
Aujourd’hui, si le respect du patrimoine bâti et paysager est une exigence, le repli patrimonial fait par contre courir à la ville un danger : la plus grande part du territoire urbain serait figé comme centre historique visité par de nombreux touristes à l’instar d’un parc d’attraction, et ce centre historique devrait rester fidèle à une image dont il ne pourrait plus se départir. Cette image souvent nostalgique et passéiste doit être sinon oubliée, du moins laissée dans un plan cinématographique qu’elle n’aurait pas du quitter : il faut échapper au Paris d’Amélie Poulain.
Une attitude vivante envers le patrimoine fera la part de la conservation nécessaire et la part des changements inéluctables si on ne veut pas figer la ville. Un constat : Paris est hétérogène, les différences et les particularités de ses quartiers font sa richesse. Ce constat doit être étendu à l’agglomération toute entière. La question patrimoniale doit être posée à l’échelle métropolitaine, pour que l’image de Paris soit autre que celle qui fut souvent comprise à l’occasion de la candidature pour les Jeux olympiques, l’image d’une ville qui était détentrice des richesses monumentales tandis que l’agglomération était seulement susceptible d’accueillir de nouveaux équipements sportifs.
… et éviter un nouvel apartheid
Il faut donc outrepasser les limites. Depuis près de cinquante ans que fut décidée l’organisation actuelle de la région parisienne, la preuve a été maintes fois vérifiée que les déséquilibres et les inégalités ne se sont pas réduits, que l’opposition entre centre et périphérie s’est accentuée, que des pôles d’équilibre n’ont ni réellement ni symboliquement vu le jour.
Paris s’enrichit de toutes les communes qui l’environnent. Les communes environnantes s’enrichissent de leur proximité à Paris. Seule une nouvelle relation, une nouvelle réciprocité entre Paris et ses voisins permettra d’habiter une échelle véritablement métropolitaine. Cette relation s’établira au-delà d’intérêts électoraux qui ne travaillent pas nécessairement en faveur de l’agglomération toute entière.
Un nouveau cycle de l’histoire urbaine a commencé, auquel est lié à un regard nouveau porté sur l’agglomération. Ce regard requiert d’aller délibérément à l’encontre de positions frileuses de repli sur soi et d’attitudes qui pourraient ressembler à un nouvel apartheid.
Source:http://www.paris.fr/portail/accueil/Portal.lut?page_id=6135&document_type_id=4&document_id=13953&portlet_id=14061&multileveldocument_sheet_id=3351