La question de la limite

©paris.fr Stéphanie Fy, Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles
Etude de l’Atelier parisien d’urbanisme, encadrée par Yannick Beltrando et Florence Hanappe, sous la direction de Jean-Michel Milliex

Puce municipalitéLa vie après le périphérique : panorama mondial et réflexions actuelles sur l’intégration des autoroutes urbaines.

Paris, comme plusieurs grandes métropoles mondiales, engage actuellement des projets de requalification du boulevard périphérique et de ses abords. Des réflexions de même type sont aujourd’hui développées dans la plupart des grandes villes dans le monde. Ces infrastructures sont à la fois sources de nuisance pour les riverains et obstacle au développement urbain, surtout au niveau local, et leur adaptation à la ville contemporaine est devenue indispensable.

L’exemple récent des Rondas de Barcelone et les projets de requalification engagés dans des métropoles telles que Montréal, Boston, Madrid, Séoul, Birmingham ou Marseille, constituent une base de données de départ de réflexion très riche pour Paris.

Puce municipalité1950 : le début des autoroutes urbaines

Dès les années 1950, la démocratisation du transport individuel conduit à un engorgement presque continuel des voies d’accès des villes. Les premières autoroutes urbaines apparaissent dans les années 1950. Quinze ans plus tard, les voies de contournement et les rocades sont presque partout aménagées dans les zones périurbaines, afin d’alléger la circulation du centre-ville.

Les ouvrages autoroutiers sont devenus sources de très nombreuses nuisances pour les habitants. Les conflits d’échelles et fractures urbaines générés représentent de réels problèmes urbains. Ils ont fabriqué des enclaves nettes dans la ville. Les déplacements ou franchissements de l’infrastructure à l’échelle locale sont impossibles et le piéton est particulièrement exclu. Ils affirment et symbolisent la séparation entre des quartiers souvent très différents.

Puce municipalitéLes Rondas de Barcelone, une réalisation exemplaire

L’intégration d’une autoroute urbaine à la ville est pourtant possible. Les Rondas de Barcelone en constituent un modèle. Construites rapidement sous l’impulsion des Jeux Olympiques de 1992, elles constituent une réalisation exemplaire d’autoroute urbaine adaptée à son contexte urbain dense. Les Rondas articulent parfaitement les échelles territoriales et locales, tant au niveau de la mobilité qu’au niveau de la vie urbaine à l’échelle des quartiers et métropolitaine. Elles multiplient les solutions pour mieux insérer l’infrastructure dans les tissus existants : nombreux franchissements, jardins en couverture légère, murs anti-bruit…,  la voie rapide est ainsi toujours associée à la création d’espaces publics ou d’équipements. Compacte, lisible dans le territoire et parfaitement intégrée, elle régule le trafic métropolitain et constitue de plus un réel moteur de requalification urbaine.

Le bilan fonctionnel est remarquable. Les Rondas ont effectivement permis de rééquilibrer la circulation du centre-ville en déviant le transit, alors concentré sur les grandes artères : les sorties nombreuses redistribuent le trafic sur la totalité des voies mer/montagne et la  baisse de circulation sur les grandes avenues est considérable –  moins 32 % sur l’avenue Diagonal. Les quartiers jusqu’alors enclavés ou en marge – notamment les quartiers nord et sud – deviennent les portes de la ville : la structure complète de la ville est modifiée.

Puce municipalitéUne série de projets, de La Défense à Séoul

Les Rondas représentent sans aucun doute un modèle d’autoroute urbaine discrète et fonctionnelle, aux qualités architecturales et paysagères manifestes, référence pour les projets de requalification actuels. L’intégration de ces infrastructures est en effet un sujet d’actualité dans un grand nombre de métropoles mondiales : Boston, Madrid, Séoul, Marseille ou Paris constituent quelques exemples de cette réflexion engagée par les élus ou les organismes de transport. Plusieurs pistes sont développées, de l’amélioration ponctuelle à l’enfouissement, jusqu’à la suppression radicale. Les acteurs et moyens engagés étant variables selon les métropoles, le recueil de ces expériences constitue une base de donnée très intéressante pour Paris. L’intervention la plus légère est la transformation ponctuelle : ces interventions ciblées d’acupuncture urbaine visent à réduire les nuisances phoniques ou retrouver des continuités urbaines.

Puce municipalitéAcupuncture urbaine…

Toujours à Barcelone, l’avenue Gran Via illustre cette volonté de réparation de l’infrastructure dans un quartier résidentiel très dense. L’autoroute urbaine a été recouverte sur la moitié de sa largeur par des porte-à-faux surélevés. Ce système développé sur trois kilomètres atténue la présence de  l’infrastructure,  au profit de jardins et de promenades, aménagés sur ses deux côtés. Ces derniers favorisent les liaisons entre les quartiers de part et d’autre de la voie rapide – Clots et Poble Nou. Les contre-allées, destinées aux commerces et aux riverains, sont conservées en surface. Moteur de cette requalification, la ligne 2 du tramway ainsi que les stationnements, intégrés sous les porte-à-faux, forment un réel corridor de transport. Le nouveau profil de la voie allié à une bonne isolation acoustique permet de réduire les émissions sonores de 15 dBA. La maîtrise d’ouvrage et le financement – 79 millions d’euros – sont effectués à part égale par deux entités publiques conjointes : la Mairie de Barcelone et la Généralitat de Catalunya. Pourtant novateur, on peut s’interroger sur la légitimité de ce projet, la diminution des émissions sonores et polluantes restant mineure par rapport à l’ampleur des travaux engagés, et les porte-à-faux constituant une barrière visuelle forte.

Puce municipalité… enfouissement total…

Dans une optique affichée de renouvellement urbain, la couverture ou l’enfouissement de l’infrastructure dans sa globalité reste un projet plus spectaculaire mais aussi très coûteux. C’est le cas des autoroutes en centre-ville ou aux entrées d’agglomération, à Marseille, Madrid, Montréal ou Boston : de nouveaux liens sont tissés entre les quartiers, sur des terrains constructibles gagnés sur l’infrastructure, et les travaux s’associent à des projets urbains d’envergure. Tandis qu’à Marseille, l’autoroute du Littoral est enterrée sur deux kilomètres pour retrou-ver l’accès à sa façade maritime, à Madrid, la requalification du boulevard périphérique ou M-30 se présente d’abord comme un projet de transport. Les autorités locales affichent leur objectif d’améliorer la fluidité de la circulation et la desserte en transports en commun, pour absorber un trafic accru. L’opération permettra de relier deux quartiers anciennement séparés,  la Ribera del Manzanares et Casa Campo, et de réduire les émissions sonores et polluantes. Six kilomètres de voies seront enterrés de manière ponctuelle ; la majorité des échangeurs seront redessinés et les transports publics en partie intégrés, en souterrain. En plus de deux nouvelles déviations, la capacité du boulevard sera multipliée par deux, passant à 2 fois 6 voies. Géré et financé par la Mairie de Madrid, le coût de ces travaux -débutés en été 2004 – s’élève à 3,9 millions d’euros. Pourtant, des critiques pointent depuis le début sur l’augmentation, voire l’encouragement du trafic automobile et le manque de consultation citadine.

Dans le  » Quartier international  » du centre de Montréal, où l’autoroute Ville-Marie en tranchée entaille profondément le cœur de la cité, l’infrastructure est couverte progressivement et rétablie de plain-pied sous la forme d’un ensemble bâti : centre des congrès,  » centre du commerce international  » et récemment le siège de la Caisse des Dépôts. Ce nouvel ensemble assure l’interpénétration des quartiers riverains mais aussi les connections avec le métro, des espaces publics traversants – place Jean-Paul Riopelle, square Victoria – et de nouvelles et  spectaculaires galeries au niveau du sol de l’architecte S. Calatrava. La poursuite du projet, sur un nouveau linéaire de 500 mètres, soit 8 hectares de surface, est en cours de mise au point, avec un programme mixte proche de 200 000 m², dont 1 500 à 2 000 logements.

A Boston, le projet est d’élargir et d’enterrer totalement l’autoroute I-93 qui traverse en viaduc le centre-ville sur près de treize kilomètres. Le nombre de voies passe de six à huit ou dix afin de résoudre les graves difficultés de circulation et sont entièrement enterrées. La totalité du projet urbain dégage 140 hectares de terrains en centre-ville, dont les trois quarts resteront libres : des espaces publics et 99 hectares de parcs donneront un nouveau souffle au centre-ville de Boston.

Puce municipalité… ou adaptation de l’infrastructure à la ville

Enfin, les projets les plus ambitieux visent à convertir la voie rapide en boulevard urbain. Ces infrastructures lourdes se confrontent à des exigences montantes de qualité de vie, et limitent l’extension des centres vers la périphérie ou la reconquête de quartiers entiers délaissés. Face à une vision de plus en plus partagée qui prône la réduction de la voiture en ville en faveur des transports publics, remise à niveau de l’infrastructure, piétonisation, réduction de l’emprise viaire et restriction sévère de la circulation permettent de réintégrer la voie dans le fonctionnement des quartiers. Plusieurs exemples en cours de réalisation illustrent ce cas : le Ring de Birmingham, le boulevard Circulaire à la Défense, l’entrée de l’autoroute A7 à Marseille. Plus affirmés, certains projets éradiquent presque totalement la circulation, pour la transformer en espace piéton : c’est le choix de Bruno Fortier pour le cours des Cinquante Otages à Nantes. Conçu entre les années cinquante et soixante-dix pour desservir le centre-ville sans avoir à le traverser, le Masshouse Circus de Birmingham est une infrastructure lourde et infranchissable, majoritairement en viaduc. Véritable frontière entre le centre-ville et les quartiers environnants, elle contraint aussi l’accroissement urbain du centre-ville. La Mairie de Birmingham a donc décidé la déconstruction de cette infrastructure et son remplacement par un boulevard urbain planté, des feux tricolores limitant la vitesse, reliant ainsi la voie au quartier. Le coût du projet – 53 millions d’euros – achevé l’année dernière, fut supporté par la Ville aidée de fonds européens de développement régional. Cette réalisation a permis de réunifier le centre-ville et le quartier d’Eastside, désormais perçus comme une seule et même entité. Symbole d’image et de dynamique renouvelées, le démantèlement du  » Concrete collar  » s’est accompagné d’un grand projet économique et urbain de redéveloppement du centre-ville, tandis que les quartiers périphériques, eux aussi valorisés, sont progressivement réaménagés.

Le projet de reconversion du boulevard circulaire à La Défense est similaire. Devenue inutile depuis la prolongation de l’autoroute A14 sous le quartier d’affaire, l’autoroute de contournement deviendra donc boulevard urbain intégré aux usages du quartier : emprise des chaussées réduite, voie de circulation supprimée au profit d’une piste cyclable bidirectionnelle, larges trottoirs plantés. Une  » onde verte  » sera mise en place afin de diminuer la vitesse de circulation et d’assurer la sécurité des piétons. Le boulevard, humanisé, est rendu aux habitants. Ce projet – 57,5 millions d’euros – est en majorité financé par l’EPAD (Etablissement public pour l’aménagement de La Défense).

Marquant l’entrée de la ville, l’arrivée de l’autoroute A7 au nord de Marseille pose des problématiques similaires. La confrontation d’échelles est brutale : le trafic autoroutier débouche brutalement en centre-ville, et cette frontière réelle relègue les habitants de ces quartiers à l’extérieur du centre-ville. Le projet de l’agence Seura permet d’abord un délestage plus en amont de l’infrastructure, puis transforme les deux cent cinquante derniers mètres en boulevard urbain planté, dédoublé par des voies de circulation douce au-dessus du niveau de la rue.

A Nantes, la métamorphose du cours des Cinquante Otages conduite par Italo Rota et Bruno Fortier, est surprenante : les huit voies de circulation asphyxiant le centre-ville ont été remplacées par une vaste esplanade piétonne liant les différents quartiers. Les voies de circulation sont réduites à deux, ponctuées de petits ronds-points diminuant la vitesse de circulation, tandis que la ligne 2 du tramway est aménagée latéralement sur le cours. La circulation est maîtrisée, le centre-ville est rendu aux piétons.

Plus radicale encore, la suppression de la voie rapide à Séoul sur un viaduc de 6 km a permis la restauration du lit de l’ancienne  rivière et la redécouverte d’un patrimoine enfoui datant du XIIIe siècle sous la mégastructure. La promenade ainsi aménagée en plein centre-ville devient déjà un pôle attractif pour les résidents, les entreprises et les futurs investisseurs.

La reconversion temporaire des infrastructures est enfin à noter. Paris-Plage, reconversion des voies sur berges en site balnéaire éphémère, est devenu un événement populaire, avec plus de 3,8 millions de visiteurs à la dernière édition. Les coûts de cette opération s’élèvent à deux millions d’euros, une moitié financée par la Mairie de Paris, l’autre par des sponsors privés : Monéo, Fnac, Monoprix ainsi que Lafarge et EDF. L’engouement des habitants pour ces aménagements prouve leur intérêt pour la qualité de vie et les espaces publics de leur ville et permettra aussi d’impulser la disparition progressive des voies rapides sur berges.

Puce municipalitéLe périphérique parisien a encore de l’avenir

Dans tous les cas, l’objectif fixé par les municipalités est de tisser de nouveaux liens entre les quartiers et de nouvelles dynamiques urbaines et sociales sur des zones laissées en marge. Les réponses et attitudes diverses apportées à la question de l’intégration des autoroutes urbaines offrent à Paris un éventail de solutions prospectives. La démarche hybride des Rondas de Barcelone semble la plus adaptée et la plus pertinente à court terme, pour traiter la question des liaisons entre Paris et les communes limitrophes sur les 35 km de l’anneau du périphérique. A plus long terme, la mutation progressive du réseau de voies rapides en boulevards urbains, en rocade ou aux entrées de Paris ne pourra s’envisager sans un renforcement conséquent de la desserte en transport en commun dans le cœur dense de l’agglomération.


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